Quelle belle invention que
la cocotte-minute !
(inventée en 1948 par le
père de Patrick Devedjian, le croira-t-on ? dont la société en faillite
fut rachetée par le Groupe SEB)
Non seulement elle permet la
cuisson saine et rapide des aliments, en économisant l’eau et l’énergie (qualités
appréciées par les navigateurs), mais elle est aussi source de fructueuses
méditations.
Une cocotte-minute est
composée d’un corps en métal épais et d’un couvercle solidement ajusté. Sur le
couvercle, une petite pièce mobile soigneusement tarée permet d’éviter, en se
soulevant, que la pression ne monte au-delà de la limite de rupture de la
cocotte, évitant ainsi une explosion qui nuirait à l’intégrité physique de la
ménagère, quel que soit son âge.
(pardon aux ménagères de
leur expliquer ce qu’elles savent déjà ( ?).
Curieux, ce nom qui lui
aussi n’existe qu’au féminin, comme « harpie », n’est-ce pas, Mme
Rossignol ?)
Passons.
La plus complexe des "machines"
La petite soupape de notre
cocotte sous pression est un exemple très simple d’un système de régulation.
Toutes les machines sont pourvues de systèmes de régulation élémentaires ou
complexes, depuis la cocotte-minute jusqu’aux centrales énergétiques (versions
élaborées de la cocotte-minute), en passant par la locomotive et le moteur à
combustion interne.
Un système de régulation
peut être extrêmement sophistiqué, redondant, utilisant de multiples palpeurs
et lui-même régulé, confiant la décision à un « cerveau »
électronique, mais le but est le même : intégrer à un système un ou des
sous-systèmes, que l’on a doté de certaines règles, et provoquant une
rétroaction.
De toutes les
« machines », la plus complexe est l’être vivant (il faut dire qu’il
a fallu des centaines de millions d’années d’« étude », sous la
férule d’un maître implacable nommé « adaptation »). Le moindre
animal est littéralement bourré de capteurs et de régulateurs.
Anticipant un peu, la
question est : les systèmes de régulation, dans le supra-système que
constitue l’homme en société, fonctionnent-ils correctement ?
Le monton-tribuable
Revenons à nos moutons.
Le mouton, comme tout ce qui
vit, depuis les plus simples organismes unicellulaires en passant par les
eucaryotes, et jusqu’aux animaux supérieurs, est doté de systèmes de régulation
intégrés, qui fonctionnent sans que le « volonté » ait son mot à
dire, heureusement. L’organisme maintient son homéostasie en termes de
chaleur interne, d’absorption d’énergie, etc. Dans un environnement pauvrement
ensoleillé, l’arbre étend son feuillage afin de recueillir davantage de
lumière, qui le nourrit par photosynthèse. Nous transpirons pour nous
rafraîchir. La toison du mouton régulièrement tondu, comme l’est le contribuable,
repousse pour le protéger du froid.
Question annexe : le
mouton-tribuable est-il doté en interne d’un système de régulation
efficace ?
(car actuellement, il
grelotte, le contribuable ; mais ne nous égarons pas).
L’état d’équilibre interne
(homéostasie) est obtenu par une infinité de capteurs. Ils disent tout sur la
situation de l’organisme par rapport à son environnement immédiat, et jusqu’à
la position du corps (haut, bas), grâce aux senseurs de l’oreille interne (qui
perturbés par le mouvement d’un bateau, s’affolent et produisent cette nausée
si redoutée des terriens mal amarinés, jusqu’au vomissement).
Nettoyons, et passons.
Vertueuse automaticité
La grande vertu de ces
régulateurs est leur automaticité. Nous ne pouvons commander à notre cœur de ralentir
ou d’accélérer à volonté (quelques fakirs, peut-être…) durant le sommeil ou en
cas de prescience d’un danger.
Ici, une observation
s’impose (oui, oui).
Quand on passe de l’animal
« inférieur » à l’animal « supérieur », et de l’animal
« supérieur » à l’homme, les automatismes ne cèdent pas le haut du
trottoir à « l’intelligence ». Au contraire, ils se subdivisent,
se multiplient et s’affinent, de même que les régulations qui les rendent
possibles.
Un mouvement volontaire est
effectué « à la commande », mais son exécution est confiée à un
nombre toujours plus grand d’ « esclaves » qui travaillent sans
avoir besoin d’indications détaillées.
Que l’on pense au geste
délicat de saisir un œuf (frais). Le cerveau commande le geste, en vue de le
mettre à frire (l’œuf, pas le cerveau).
(frits, les cerveaux de nos
élites le sont déjà).
Le geste de saisir cet œuf
fragile entre ses doigts, d’effectuer l’exacte pression pour le soulever sans
le casser, de maintenir cette pression sans l’accroître, etc, ce geste tout
simple est accompli grâce à des multiples cycles régulateurs, et une somme
énorme de « connaissance » acquise phylogénétiquement. Il en va
de même pour un singe qui saute sur une branche. L’extraordinaire capacité que
cela exige, et dont l’exécution met en œuvre un nombre non moins étonnant de
détecteurs, de capteurs, de cycles de rétroaction régulés, tout cela est bien
sûr automatisé et inné. Le singe qui « réfléchirait » chacune
de ces opérations successives se casserait la gueule, à coup sûr.
Soit dit en passant, on
comprend que l’homme descend certainement d’une espèce de primate arboricole,
tant l’environnement de ceux-ci exige un développement du système nerveux.
Sous-systèmes à deux faces
La cocotte-minute m’a mené
fort loin, mais pendant ce temps mon ragoût cuit, alors un peu de patience. Le
petit jet de vapeur m’informe que sa régulation fonctionne conformément aux
calculs de Monsieur Devedjian père (que je salue en passant, même s’il est dans
l’incapacité de me rendre la pareille).
Mais sautons l’homme (et la
femme), sa spécificité et le fossé qui le sépare des animaux les plus proches.
J’en viens à ce qui est
l’objet de ce billet : les sociétés et les civilisations.
Je disais que la grande
vertu des systèmes régulés, c’est l’automaticité de cette régulation
fonctionnant « en boucle ». Cela « sent » et régule tout
seul, mettant en œuvre un cycle de rétroactions dont il est vain de se demander
lequel, du système ou du sous-système régulateur, « commande » l’autre,
comme pour la poule et l’œuf. Ils ne peuvent fonctionner l’un sans l’autre, de
même qu’à propos d’un moteur, il est vain de se demander si c’est tel
sous-système qui prime (l’arbre à cames, par exemple), ou tel autre (le
mouvement du vilebrequin qui entraîne l’arbre à cames). Les sous-systèmes opèrent
de concert.
Audacieusement, on peut
considérer l’homme, organisme hyper-sophistiqué, comme un système opérant, muni
de sous-systèmes eux-mêmes se subdivisant en sous-systèmes allant du général au
particulier, et ainsi de suite, chacun « ouvert » vers le bas
et vers le haut, comme Koestler (Arthur) le décrit brillamment en comparant ces
sous-systèmes à des visages de Janus*.
Homéostasie sociale
Quand on passe au
supra-individuel (l’homme ou l’animal vivant en société), le parallèle peut se
poursuivre : une société, une civilisation, doit sa conservation (son
homéostasie sociale, en quelque sorte), à la multitude des individus qui
composent cette civilisation. L’automaticité de ces « sous-systèmes
humains » n’est pas aussi inflexible que dans un organisme moins élevé sur
l’échelle de la complexité, bien sûr. Chez l’homme, même si l’inné reste le
soubassement indispensable de son existence, le culturel permet de
spectaculaires variations. L’homme pense, il rationalise (ou prétend rationaliser,
voir Pareto), mais il n’en reste pas moins que sa connaissance du monde (vu à
travers le filtre de ses expériences personnelles ou collectives, ainsi que de
ses croyances), possède quelque chose d’instinctif. Une société
« sent », et « régule » de façon infra-consciente,
grâce aux êtres qui la construisent, la pérennisent et la perfectionnent – du
moins tant que la régulation fonctionne à peu près correctement.
Cette idée
choque-t-elle ? Ne sommes-nous pas des êtres pensants et autonomes ?
« Que les grandes
lois naturelles ne souffrent pas d’exception semble aller à l’encontre de la
liberté, que nous considérons tous comme l’une des valeurs supérieures de
l’homme et comme l’un de ses droits les plus inaliénables », écrit Konrad Lorenz*, qui ajoute plus bas :
« L’idée que l’évolution de notre civilisation ne dépende pas de notre
volonté et encore moins de notre pensée conceptuelle, qu’elle ne soit pas
dirigée par notre entendement et notre raison, est presque aussi difficile à
admettre. »
De même qu’un organisme
individuel, les sociétés elles aussi s’adaptent tout en conservant une certaine
immuabilité, celle comparable à la rigidité fonctionnelle des sous-systèmes
élémentaires. Dans le cas du supra-individuel humain, une civilisation doit
sa réussite ou sa mort à une relative inflexibilité de ses membres. Ce n’est
plus l’inné qui décide, certes, mais une sorte « d’inné culturel »,
terme que dénonceront comme un oxymore les penseurs habitués au « noir ou
blanc ».
Que l’on évoque seulement la
muette réprobation, le simple froncement de sourcils, en présence de
comportements « étrangers » qui choquent l’autochtone ! Rien de
cela n’est argumenté, ou simplement conscient. C’est un réflexe, purement et
simplement. Un réflexe salvateur !
L’intégration de tels
réflexes est infra-rationnelle. Elle procède de l’assimilation et de la
transmission ; transmission de certains rituels, religions, mode de
comportement, façons de penser, et en tout premier lieu du langage, dont
l’apprentissage, bien que particulier pour chaque langue, s’appuie sur des
mécanismes communs intégrés au génome.
Une société, une
civilisation, ne se maintient pas sans une sorte de corpus intégré, qui fait qu’elle est elle-même, pas une
autre, et qui implique qu’elle se « pose en s’opposant »,
serait-ce pacifiquement.
Anomie et violence absurde
Tous les mécanismes intégrés
agissent avec une indépendance relative, même s’ils sont mis en branle par une
« volonté » (celle de faire tel geste et pas un autre).
De même, ceux qui
pérennisent une société doivent être plus ou moins intériorisés pour être
efficients (ce qui se fait, ce qui ne se fait pas).
Cela n’exclue pas,
heureusement, de les critiquer.
L’interrogation des
« règles » a besoin de règles. De même que l’artiste a besoin d’un
cadre pour éventuellement le briser, et créer du nouveau, un jeune (d’esprit,
pas d’âge) ne peut pas se rebeller contre ce qui n’existe pas.
Le Walther des Maîtres
Chanteurs de Nuremberg finit par s’affranchir d’une tradition
sclérosée tout en s’appuyant sur elle (l’apprenant pour mieux la désapprendre),
grâce aux conseils du vieux Hans Sachs.
Sans tradition, sans
enseignement, sans une certaine admiration pour des « maîtres », c’est
l’anomie et la violence absurde.
Pas d’impatience, j’en
arrive à la conclusion.
L’individu, considéré comme
un système complet mais intégré à un super-système, la société, n’est pas
passif. Il reçoit et emmagasine sans cesse des informations du monde extérieur,
de son environnement social. Ces informations sont intégrées à son psychisme,
et lui permettent de progresser vers une meilleure connaissance du réel ;
et donc d’agir en conséquence, car information et action (penser, notamment)
sont indissociables.
L’action informe, et
l’information met en action.
Que se passe-t-il quand l’individu
est rendu passif, et qu’il ne reçoit donc plus d’information exploitable par
son intellect ?
Robots programmés
Dans une société où les
choix et les expériences (parfois négatives) sont limités ; dans une société où
un acte ne fournit pas une information (par la réussite ou la sanction
ressenties « naturellement »), l’individu infantilisé ne peut plus
être ce « régulateur » du devenir de la société.
La régulation s’opère (mal)
de l’extérieur, en amont, et c’est la grande tragédie des sociétés où l’individu
est mis sous tutelle. Leurs dirigeants prétendent à un secourable amour
de l’homme, alors qu’en fait, ils travaillent à le conditionner par récompenses
et sanctions opérant artificiellement. Les capteurs semi-conscients de
l’individu social se taisent. Une sagesse « innée » se perd. Le
sous-homme qu’il est devenu n’a plus cette capacité d’apprendre qui est le
propre du vivant sans exception.
Infra-humain ?
Pire ! Un monde de robots programmés***.
(Remarquons en passant le
mépris pour l’homme, cet incapable, que suppose la mentalité de nos altruistes
meneurs de troupeau)
Cette « régulation
externalisée » ne peut être que maladroite. Un peu comme si moi, « le
chef », je devais me lever sans cesse pour lâcher manuellement de la
pression de ma cocotte-minute, au lieu de faire confiance à un mécanisme
simple, et parfait dans sa simplicité.
Réguler « en
amont », ça ne marche pas, sinon pour les « régulateurs » (que
ça occupe et rémunère).
Mais c’est trop compliqué,
finalement. L’État, quand il veut se charger de tout, finit par ne réussir en
rien. C’est pourtant la voie que suivent les sociétés collectivistes, avec une
persévérance admirable d’où l’intérêt particulier n’est pas absent.
Et la cocotte-minute, un
jour ou l’autre, comme la dette ou l’immigration, explose.
* Arthur
Koestler, Le Cheval et la Locomotive, chez Calmann-Lévy
** Konrad
Lorenz, L’Envers du Miroir, chez Champs/sciences
*** Alexis
de Tocqueville, in La Démocratie en Amérique : « Je vois une foule
innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes
pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs (…). Chacun d’eux, retiré à
l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres (…). Il n’existe qu’en lui-même et
pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins
qu’il n’a plus de patrie. »
NDLR :
Pour ce qui est de la famille, c’est également foutu, Tocqueville lui-même
n’aurait pas osé l’imaginer.
Prochain
billet : Un remède de bonne femme
extrèmement intlligent ! cf "ne leur donnez pas de poisson, apprenez leur plutôt à pêcher"
RépondreSupprimerA l’attention de René-Pierre Samary
RépondreSupprimerLa lecture de votre blog 2014 m’a inspiré des commentaires.
Je souhaiterais vous les transmettre par messagerie (Fichier pdf – 272 Ko).
Pouvez-vous me communiquer une adresse permettant l’opération ?
Merci et bonne journée.
Daniel LUTRIN
133 chemin de la Valette
38460 – Vénérieu
FRANCE
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33 04 74 92 89 09
danga.l@orange.fr
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