Tout avait pourtant bien
commencé, ce lundi 1er mai.
C’était en 2002.
J’étais arrivé fin février
aux Antilles, après une transat en solitaire, celle de mes soixante ans, avec
le sentiment que j’avais enfin atteint « la vitesse de libération »,
ainsi que j’appelais la capacité de quitter pour de bon un pays où les libertés
s’amenuisaient sans cesse ; où montaient irrésistiblement les tensions
dues à l’hétérogénéité galopante de la population.
Pour être pleinement
heureux, il ne me manquait que l’essentiel. Séparé de ma fille cadette par un
départ à la hussarde de sa mère, je me consolais en me promettant de faire
venir l’enfant aussi souvent que possible sur le bateau de papa. Elle venait
d’ailleurs de repartir pour la France, après trois semaines d’une présence qui
m’ensoleillait encore.
Ce lundi-là, j’attendais
deux visiteurs. Un couple de vieilles connaissances, rencontrées en
Méditerranée. Lui, plaisancier, ancien Commandant de Bord chez Air France,
retraité avec une pension de l’ordre de soixante-dix mille francs mensuels,
bonhomme assez jovial et nullement imbu de lui-même malgré son niveau de
revenus.
De gauche, bien sûr, et
dorlotant son confort intellectuel avec divers dons à des associations
bien-pensantes, son maître à penser était Albert Jacquard, un mathématicien
devenu prophète des bobos.
Convictions sulfureuses
Avec Nicolas (les prénoms
ont été changés, hi hi), nous parlions voiliers et conduite d’un Airbus,
rarement politique. Son ton péremptoire, dans ce cas, m’en dissuadait. Nous
étions alors dans les années quatre-vingt dix, et il y avait de bonnes raisons
– c’est encore vrai, mais un peu moins, aujourd’hui – de rester évasif au sujet
de convictions qui sentaient le soufre.
Surtout dans le milieu où je
travaillais, il fallait être du bon bord. Je me contentais généralement
d’afficher un scepticisme patelin à propos les vertus du socialisme, ce qui
n’était pas toujours suffisant. C’est ainsi que convié à me faire
« briefer » sur je ne sais plus quelle campagne publicitaire pour un
produit dont je ne me souviens pas davantage, le patron de l’agence m’avait
habilement sondé sur la pureté de mes croyances, me parlant longuement de la
Shoah (ce dont je suis certain, c’est qu’il ne s’agissait pas du
« produit » à promouvoir). Sans doute avais-je manqué d’enthousiasme,
marmonnant quelques « oui, c’est terrible ». Le contrat m’avait
échappé.
(Je m’en suis félicité plus
tard, le récipiendaire s’étant assis sur ses honoraires impayés, ce qui l’avait
conduit au bord de la faillite).
« La France a honte »
J’attendais donc Nicolas et
sa compagne, ce 1er mai 2002.
On se souvient.
Le premier tour de
l’élection présidentielle avait eu lieu le 21 avril. Malgré toutes les
prévisions des instituts de sondage, Le Pen avait précédé de peu Jospin.
D’imaginer les piaillements
de la basse-cour m’amusait fort. J’en trouvais l’écho en écoutant la radio.
C’était l’escalade des déclarations et des manifestations. Des démocrates
exemplaires rejetaient le résultat des urnes et en appelaient à la rue, à la
« vraie France ». Les artistes-sic, les intellectuels auto-proclamés,
l’équipe de France de foot, de rugby, tous s’agitaient, criaient leur
détermination. On entendait « La France a honte ». La France, c’était
eux. Eux, les seuls Français légitimes, d’une légitimité qui n’était même pas
celle de Pétain. Patrick (Bruel) et Bertrand (Cantat) éructaient. D’un ton
pénétré, la chevelure savamment décoiffée style Bernard-Henri, Pierre (Arditi)
déclarait pompeusement : « j’entre en résistance »…
Là-dessus arrivèrent Nicolas
et sa compagne, débarqués en fin d’après-midi d’un vol qui ne leur avait pas
coûté cher, contrairement à celui que j’avais payé à ma fille sur mes six cents
euros de revenus mensuels.
Nous allâmes déposer leurs
bagages à bord, et revînmes dîner au restaurant.
Ça ne rata pas. La compagne
de Nicolas proclama du ton qui convient à la poule parlant de ses
poussins : « À cette heure-ci, mes enfants sont certainement en train
de manifester. »
J’aurais dû me taire. Oh, je
ne désapprouvai pas ! Mais mon mauvais génie me glissa cette réponse
sibylline : « Tous ces gens qui manifestent, ils auraient mieux fait
d’aller voter. »
Car il était probable que le
taux d’abstention, et la dispersion des voix de gauche, avaient permis au vieux
lutteur d’arriver en seconde position.
Un taux critique
Résultat dont je me
félicitais bien sûr, mais avec la prudence huguenote d’un temps d’Inquisition.
Cela faisait trente ans et plus que j’étais farouchement anti-communiste, et le
socialisme me répugnait tout autant. D’abord d’instinct – l’horreur de
l’hypocrisie, et le goût de la liberté, sans doute – puis de façon plus
réfléchie.
Je m’intéressais peu à la
politique que Barre appelait « politicienne », mais de plus en plus à
l’évolution socio-économique de la France.
L’un des grands moteurs de
cette évolution, dont les effets étaient facilement perceptibles dès la fin des
années quatre-vingt, était le flux excessif de l’immigration, immigration qui, au contraire des précédentes vagues migratoires, provenait de pays de
cultures trop éloignées de la nôtre pour s’assimiler en masse –
encore moins la féconder. Un peu de différence enrichit, trop de différence ne
peut qu’amener la montée de l’intolérance, la radicalisation des esprits, le
rejet de l’autre. Il y avait un taux critique à ne pas dépasser en terme de
mixité ethnico-culturelle, taux au-delà duquel, invariablement, une société
importée « fait société » à l’intérieur de la société d’accueil, avec
toutes les conséquences prévisibles.
Un seul leader politique se
montrait fermement critique sur ce sujet, on sait lequel. Sans même se
préoccuper de ses capacités à diriger le pays, de ses pensées intimes ou même
du bien-fondé des attaques qu’il subissait de la part du lobby immigrationniste
(on sait maintenant ce qu’il en était), il était parfaitement logique, compte
tenu du péril à venir, de lui apporter ma voix.
Ce que j’avais fait aux
élections présidentielles de 1988, puis de 1995.
Je crois n’avoir confié cela
qu’à un seul ami, de gauche naturellement, qui a difficilement digéré l’aveu.
Mon explication ne l’a pas moins surpris: « J’ai horreur du racisme. J’ai
voté pour Le Pen contre le racisme. »
Ce n’était pas une boutade.
Les années qui ont passé ne
m’ont pas fait regretter mon vote de protestation. J’en suis plutôt fier
aujourd’hui, douze ans après avoir quitté ce pays en voie de décomposition. La
seule consolation aura été, pendant cette période, une certaine décongélation
de la parole grâce aux médias alternatifs.
La droite inaudible
Donc, je n’avais pas voté,
en 2002.
Il n’y a pas de bureau de
vote par 15° de latitude Nord et 46° de longitude Ouest. Mais y en eût-il un,
que je n’aurais pas hésité. Non seulement les événements confirmaient les
prévisions, mais la hargne imbécile avec laquelle ce que l’on commençait à
nommer « la bien-pensance » poursuivait le trublion frontiste
devenait une seconde motivation. Il ne s’agissait plus d’une simple opposition
politique, mais d’une haine viscérale, ne reculant devant aucun mensonge,
aucune manipulation de l’opinion, pour diaboliser Le Pen, la « bête
immonde ».
Il y avait là-dessous
quelque chose d’effectivement diabolique, mais ce n’était pas Le Pen qui
portait cornes et pieds fourchus.
Quant à la droite parlementaire,
tétanisée, elle devenait inaudible, cédant à toutes les mises en demeure,
définitivement perdue par sa lâcheté face aux puissants groupes de
pression ; ceux qui dans le journal « Globe » « vomissaient
la France des farandoles, des binious et de la bourrée. » ; ceux dont on se demandait de plus en plus ce
qui les faisait agir, dans quel but…
L’aveu
Donc, les enfants de…
(appelons-la Bertrande) manifestaient, aussi enthousiastes que peuvent l’être
des jeunes bien endoctrinés. On a vu ça tant de fois, à Nuremberg comme à
Moscou.
Ma réponse, proférée du ton
vague de quelqu’un qui voudrait bien qu’on parle d’autre chose – des Tobago
Cays, par exemple, de ses eaux cristallines, d’un barbecue sur la plage – n’eut
pas l’heur de pleinement satisfaire Nicolas, qui me pressa de questions, sa
barbe blanche et bien taillée commençant à se hérisser. « Toi, au
moins… ».
Il commençait à me gonfler
sérieux. Le droit de vote est un droit fondamental, et c’est une des rares
libertés qui nous reste. J’avais le droit de voter pour qui je voulais, et pas
seulement pour les candidats officiels désignés par la nomenklatura.
Je dois dire aussi que j’ai
horreur du mensonge. Soumis au feu de mises en demeure de plus en plus
directes, que je ne pouvais esquiver, j’ai fini par avouer. « Oui, ça
m’est arrivé, autrefois… ».
La suite dépassa ce à quoi
je m’attendais. Nicolas se dressa, comme mordu par une vipère. Il ne pouvait
rester une seconde de plus à la même table qu’un suppôt de Lucifer. Il ordonna
à sa compagne de le suivre sans délai.
Vociférant de telle sorte
que tout le restaurant ne put ignorer qu’il y avait parmi ses clients une
brebis galeuse, un abominable lepéniste, il alla s’installer à l’autre bout de
la salle, rouge de colère et raide comme la statue du commandeur.
On ne discute pas avec les
extirpateurs du Mal, et j’abandonnai l’espoir de le faire.
Au fond, la scène était
assez grotesque pour prendre le parti d’en rire. Je ramenai à terre les valises
de mes invités, qui allèrent sans doute louer dans un bon hôtel un logis plus
confortable que celui que je pouvais leur proposer sur mon petit bateau.
Cordon sanitaire
Je ne les ai jamais revus,
et jamais reçu de leurs nouvelles. Ce qui était à prévoir.
Je classai l’affaire ( pas
si bien que cela, la preuve en est cette « confession » qui ressort
onze ans plus tard).
Tout juste ai-je appris,
quelques semaines plus tard, que Nicolas, de retour en France, avait fait le
tour de nos relations communes pour les avertir de mes nauséabondes opinions,
et qu’il convenait d’éviter de fréquenter un individu de mon triste acabit. Le
coup du cordon sanitaire à petite échelle, en somme. Lilliput au pays des
Soviets.
J’appris aussi que ma fille
cadette avait été emmenée, entre les deux tours, pour manifester, à huit ans,
par sa mère et son beau-père. En compagnie d’un grand verre de rhum, je
l’imaginai, avec dans ses mains toutes petites, sa petite pancarte marquée
« F Haine »…
D’où venait le vent de la
haine ?
Je me dis que j’avais
vraiment bien fait de quitter la France, et ce n’est pas le cours des
événements qui me l’a fait regretter.
En Ile-de-France, 60% des
naissances sont d’origine extra-européenne, chiffre en irrésistible
progression.
Les enclaves ethniques
s’agrandissent et se multiplient.
L’opinion nationale
s’exaspère, jusqu’à rejeter en bloc toutes les personnes d’origine musulmane,
tandis qu’à gauche, on s’enferre avec d’autant plus d’obstination que le réel
lui apporte des démentis dans tous les domaines.
La dégringolade économique
continue, jusqu’à bientôt toucher le fond.
La gauche, aux abois,
s’imbécilise à pas redoublés, la féminisation des esprits et des
« élites » poussant à la roue.
Ce pays était inguérissable.
J’espère que ma fille n’aura
pas honte, devenue adulte, de sa petite pancarte. Elle n’était pas responsable.
Ses « parents » non plus, d’ailleurs. Nicolas, pas davantage. La
connerie est toujours excusable. L’ennui, c’est quand elle donne le
« la », qu’elle veut faire la loi.
Je ne sais pas pourquoi,
mais j’aimerais voir les derniers actes de la comédie.
Vulgaire curiosité, car les
jeux sont faits depuis bien longtemps.
Bien longtemps avant qu’ait
eu lieu cette pauvre anecdote, un certain jour de printemps 2002.
Prochain
billet : Vaticinations à propos d’une cocotte-minute
Bravo Passim, très bien écrit.....
RépondreSupprimerJe me rappelle moi de l'exaltée Taubira, sur un plateau de TV le soir du 21 avril 2002, furieuse, déclarant "je me dépèche de m'exprimer avant d'aller manifester...". Elle qui avait été, entre autre, responsable de la défaite de Jospin.....
Roxane_77
Un symbole, cette gauche arrogante, accusant les autres de leur propre turpitude...
La vengeance étant un plat qui se mange froid, je me réjouis de voir tous ces bobos cocufiés admettre du bout des lèvres, maintenant qu'après tout un vote FN ......
Hélas, il arrive bien tard...
SupprimerMerci, Monsieur, d'avoir su mettre les mots sur ce qu'il faut bien qualifier de souffrance, ce sentiment d'être bannie de mon pays par ceux-là mêmes qui l'ont envahi, détruit, dénaturé , dépecé....
RépondreSupprimerJ'ai toujours pensé que les immigrés avaient d'excellentes "raisons" de venir dans cet Eldorado que représentait la France.
SupprimerQu'aurions-nous fait à leur place ?
Mais j'éprouve une aversion profonde à l'égard de ceux qui ont encouragé cette invasion.
La liste serait longue...
Arghhhh là bête immôôônde est donc en toi et je ne te lirai donc plus jusqu'à ce que tu te fasses exorcisé. Sur ce je vais aller prendre une douche pour me laver de toute cette fange... pi faut que je nettoie aussi mon clavier et que je fasse un reset de mon ordi... p'tain dis moi pas que je respire le même air que toi... mais vie est foutue
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