Passim, le blog
"passim" : du latin, ici et là, partout, en tous sens. Quand tout est cuit et recuit, depuis un demi-siècle ou plus, reste à se divertir, parfois sérieusement, parfois ironiquement ; ici et là, dans un passé vite oublié, dans un présent évanescent, que de sujets à rire, quand on est dirigé par des farceurs ! Je propose aux visiteurs de ce modeste blog un rendez-vous dominical, que j'espère distrayant.
jeudi 19 juin 2014
Relâche pour cause de déplacement.
Il n’y a pas de mer dans le jardin d’Éden. L’horizon liquide à la surface duquel l’œil se perd ne peut s’intégrer au paysage clos du paradis.
Vouloir pénétrer les mystères de l’océan, c’est frôler le sacrilège, comme vouloir percer l’insondable nature divine.
"Le territoire du vide, l’Occident et le désir du rivage" d' Alain Corbin
dimanche 8 juin 2014
Choses vues à Roland
Sur la cancha de terre battue, il y a deux
hommes qui se battent, et qui transpirent.
Aux changements de côté, la
caméra parcourt les rangées des happy few. Ceux des premières loges.
Les nantis
sont là pour regarder, mais aussi pour être regardés. C’est la crème :
chauds bizze qui se font la bise, vedettes du monde politique et médiatique en
tenue informelle. Dans ce petit monde, tout le monde se connaît, et on
s’appelle par les prénoms. C'est le "vivre ensemble" dans le monde des loges.
Sur les têtes, de jolis simili-panamas, le blanc souligné de rouge, cadeau de l’organisation. Des éventails s’agitent paresseusement. On respecte les traditions, à Roland. C’est le beau monde, qui va annuellement à « Roland ».
Sur les têtes, de jolis simili-panamas, le blanc souligné de rouge, cadeau de l’organisation. Des éventails s’agitent paresseusement. On respecte les traditions, à Roland. C’est le beau monde, qui va annuellement à « Roland ».
Car on va à
« Roland » comme on allait autrefois à Saint Trop’. Tradition.
" Sennnsacional !" s'exclame le commentateur. Dans les loges, entre les
bavardages et les congratulations, on applaudit les coups gagnants. On est
sportif, aussi. Un peu plus pour Nadal, parce qu’il est Espagnol ? Un peu
plus pour « Djoko », car c’est le challenger ? Il y aurait un
Français, on pourrait montrer un patriotisme de bon aloi.
Attention ! Pas
de chauvinisme, comme chez ceux des hauts gradins et des bas moins bons
revenus. Rien à voir entre la crème et la plèbe – qui d’ailleurs ne voit rien,
vue la distance.
Des Français, dans le
tournoi, c’est fini depuis les quarts. Comme d’habitude. Ce n’est pourtant pas
qu’on manque d’infrastructures pour les champions en herbe. On n’est
pas non plus en reste de dirigeants. Côté dirigeants, présidents, et tout le staff qui va avec, on est sans doute les champions du monde. Ça pullule, comme à l'Assemblée nationale, au Sénat, dans les Conseils généraux, départementaux, régionaux... dont il paraît que le nombre va fondre, comme la neige sous les rayons du Roi Soleil Solex.
Il serait logique, au vu de cette armée mexicaine, que nos tennismen surclassâssent les joueurs venus de pays aussi minables que la Serbie, la Lettonie, la Hongrie, la Pologne et j'en passe.
Que nenni. La fabrique de champions ne produit que des seconds couteaux, talentueux mais bon... Des seconds couteaux, même sympathiques comme Monfils ou Tsonga. Mais pas de
têtes d’affiche issus de cette grosse machine tournant à plein régime pour les former.
Beaucoup de ceux et celles
qui ont fait une carrière au sommet (Pioline, Tauziat) ont préféré un parcours
atypique. Bizarre. Peut-être ne forme-t-on pas un champion en couveuse, comme
sont formés nos actuels dirigeants…
Yannick, pourquoi nous as-tu
abandonnés ! (Noah, qui soit dit en passant, jouait comme un sabot, toutes
proportions gardées).
Gain du troisième set,
Nadal. Une caméra placée très haut montre une vue de Paris, depuis l'enclos où bavarde le petit monde des loges jusqu'à la ceinture grise des banlieues où s'agite un autre monde, inconnu du premier. On entend des « allez rafa », qui répondent aux « allez
Djoko ». Je commande un
deuxième café à Paola.
Paola, vingt ans, ravissante
et indifférente à la petite balle jaune. Elle baille. Hier soir, elle a dansé
jusqu’à deux heures du matin, avec son esposo, dans le dancing local. Elle
vient d’être embauchée comme serveuse.
Elle gagne six mille Lempiras par mois (trois cents dollars US). Son
mari, huit mille comme pompiste à la gazolinera du coin. Loyer, mille cinq
cents. Restent pour le couple quelque six cents dollars. On vit avec ça au
Honduras, avis aux futurs expatriés.
Nadal s’envole. Sur les
tee-shirts BNP des ramasseurs de balle, « we are tennis.com ». Sur
les banderoles, « The bank for a changing world ». D’autres
traduisent, pour les illettrés : « La banque d’un monde qui
change ». Nous voici rassurés.
Quelques pubs, sur ESPN. Un
portrait de Nadal maquillé comme une voiture volée, souriant. Le taureau
ibérique ferait de la promo pour l’interchangeabilité des sexes, entre deux
coups de raquette ? Pour me rassurer, j’irai sur Google.
Derniers points. Nadal
vainqueur. Les deux champions ont honnêtement gagné leur vie. Ceux des
premières loges, on n’en est pas vraiment certain, qu'ils gagnent leur vie à la sueur de leur front. Les bonnes places, comme dans les loges de Roland, ce sont celles où on est invité.
C’est Hidalgo qui va être
contente, qui soutenait Nadal « parce qu’il est Espagnol, et qu’elle est
d’origine espagnole ».
On a les dirigeant(e)s, et les champions, qu'on mérite.
lundi 2 juin 2014
Lettres à Bécassine
« Tu ne m’en voudras
pas de ce prénom, Bécassine. Ton véritable patronyme a beaucoup changé, mais tu
es restée la même, à peu près, depuis un demi-siècle.
« Quand j’étais petit
et que je lisais « La Semaine de Suzette (comme le temps passe), j’adorais
Bécassine, personnification de la brave idiote, de la gourde aux bons
sentiments, de la naïve au cœur d’or… Bref, chère Bécassine, une incarnation de
l’étourderie de bonne foi, cette foi qui soulève les montagnes et rassemble les
manifestants.
« L’autre jour, tu
étais à Lyon, Paris, Marseille, Rennes ou Bordeaux, contre le « F
Haine », éternelle et omniprésente Bécassine. Oh, vous n’étiez pas bien
nombreux, mais tu étais là, fidèle au poste, avec tes copines et tes copains.
« Il y a exactement
quarante-six ans, tu étais là aussi. Tu avais le même âge, dix-sept ans. Le
temps n’a pas de prise sur ta jolie frimousse et tes courtes idées. Tu criais
« CRS SS » avec Cohn-Bendit. À l’époque, dans le feu de l’action, tu
as écarté les cuisses au nom de la libération des femmes et de la liberté. Plus
tard, tu t’en serais repentie, si les Dieux ne t’avaient doté de l’éternelle
jeunesse.
« Tu avais toujours
dix-sept ans, chaque fois qu’il a fallu défiler. En 1981, c’était à propos de
l’attentat de la rue Copernic. Tu étais contre l’antisémitisme. C’est très
bien, d’être contre l’antisémitisme. Je t’ai envoyé à l’époque une petite
lettre, te faisant remarquer que la droite n’y était pour rien. Les antisémites
n’étaient pas ceux que tu croyais. Tu ne m’as pas répondu.
« Tu as défilé,
inlassablement. Il y a tant de motifs. Les « dérapages » de
Jean-Marie Le Pen, la loi Fillon, les expulsions de sans-papiers, les skinheads
de Carpentras, la réforme Devaquet… pour Leonarda, contre le CPE, pour le mariage homosexuel, contre
les « discriminations du genre »…
J’étais stupéfait, et je te l’ai dit.
Voir des garçons et des filles de quinze à vingt ans embrigadés
aux côtés de ceux qui depuis trente ans leur volaient leur avenir
pour accroître leurs privilèges
montrait à quel point on était arrivé à vous décerveler.
« Je m’y perds, j’ai
l’excuse de l’âge. Soixante-dix et des mèches. Toi, tu as toujours dix-sept
ans. Parfois, j’ai essayé de te rencontrer, au milieu de la foule : ton
enthousiasme juvénile, la conviction avec laquelle tu m’aurais fait part de tes
valeurs, m’auraient sans doute convaincu. Hélas, vous aviez toutes le visage de
Bécassine.
« Je t’ai de nouveau
écrit. C’était, je me souviens, à l’occasion de la manif’ contre la réforme des
retraites, en octobre 2010. Là, c’était impressionnant. Les lycées bloqués, des
milliers lycéens dans la rue. Un garçon avait été grièvement blessé à
Montreuil.
« J’étais stupéfait,
et je te l’ai dit. Voir des garçons et des filles de quinze à vingt ans
embrigadés aux côtés de ceux qui depuis trente ans leur volaient leur avenir
pour accroître leurs privilèges montrait à quel point on était arrivé à vous
décerveler.
« J’ai retrouvé ma
lettre, dans un tas de vieux papiers ; une lettre toute gentille. Tu
aurais pu être ma fille.
« Chère Bécassine,
Tu es en grève, comme beaucoup de tes camarades
d’établissement. Sans doute vas-tu, de temps en temps, défiler, porter des
banderoles, crier des slogans. C’est tellement ludique.
Mais comme tu es une jeune fille réfléchie, tu ne
te contentes pas de t’amuser. Tu veux comprendre pourquoi tu participes à ce
carnaval... Je veux dire à ce mouvement. Tu poses des questions avisées. On te
donne des réponses, qui semblent raisonnables.
Tu es élève en terminale L. Tu t’exerces à la
philosophie. L’un des premiers enseignements de la philosophie, c’est de ne pas
se fier, comme les prisonniers de la caverne, à l’apparence des choses.
Quand tu défiles, la foule semble innombrable.
Quelle impression de force irrésistible dans toutes ces personnes marchant
ensemble ! N’oublie pas, néanmoins, qu’elles se chiffrent par centaines de
milliers, tout au plus. Un pays comme la France compte des dizaines de millions
de citoyens. Ce n’est pas le même ordre de grandeur.
Mais qui est dans la rue ? Je vais essayer, de mon
point de vue, de te le dire.
Il y a les fonctionnaires et assimilés,
bénéficiaires de l’emploi à vie ; ensuite, les improductifs, qui sont dans
la rue parce qu’ils croient, à tort, n’avoir rien à perdre ; en troisième
lieu, les niais – pardonne-moi si tu te sens visée -, qui ont bon cœur et sont
sensibles aux concepts creux de justice sociale, pauvreté, exclusion, mais
niais, parce qu’ils soutiennent « ceux qui sont la cause des effets qu’ils
déplorent », la caste des privilégiés.
Il y a les agités, qui cherchent la convivialité
et le plaisir de se retrouver ensemble.
Il y a les malins, ceux qui voient dans tout
mouvement de masse une opportunité pour jouer des coudes. Ceux-là, si
l’ambition et la chance les accompagnent, on les retrouvera plus tard aux
bonnes places. Tu les reconnaîtras : ceux qu’on voyait à la télé, qui
tiennent les mégaphones, et qui s’exercent à l’un des plus vieux métiers du
monde : gardien de moutons.
Il y a enfin les casseurs, peut-être les seuls à
savoir vraiment ce qu’ils veulent, et agissent en conséquence. »
« On est en 2014, et tu as toujours dix-sept
ans. L’autre jour, donc, tu as marché contre le retour du fascisme. Des groupes
de jeunes vous auraient importunés, des noirs et des maghrébins.
« Chère Bécassine,
Tu m’étonnes. J’ai peine à te croire. Tu devrais
savoir qu’il n’y a aucune violence chez les immigrés, sauf celle, légitime, que
provoque leur ostracisation, leurs difficultés pour trouver un emploi, leur
enfermement dans des ghettos, leur pauvreté, tous ces maux dont sont responsables
les Français inhospitaliers et racistes.
Es-tu bien certaine que ceux que tu nommes sur ta
page Facebook « ces enfoirés de casseurs » n’étaient pas de ces
provocateurs soudoyés par le Front National pour vous leurrer, toi et tes amis,
qui défilez courageusement contre le retour de la bête immonde ?
Je crains qu’un malentendu ne fasse vaciller tes
convictions éternellement fraîches et candides.
Bécassine, rassure-moi !
Tu es comme moi d’origine bretonne, mais tu le
sais, nous sommes tous des descendants d’immigrés. L’immigration est un
bienfait, tu m’en as persuadé.
Bécassine, à ce jour, ne m’a
pas répondu. Je sais qu’elle a du mal avec le second degré, cette chère
Bécassine.
samedi 24 mai 2014
Réflexions sur une dame lilloise
Chacun se souvient de ce
petit drame qui s’est joué sur une ligne du métro de Lille. Une femme, mère de
famille, harcelée et molestée par un ivrogne.
Assez banal.
Ce qui a retenu l’attention
des observateurs (dont aucun n’était sur place, et n’a donc rien observé du
tout), c’est la passivité des voyageurs, tous des hommes, allant jusqu’à
quitter le wagon pour ne pas être importunés par la scène.
Oh ! Si l’on en a
glosé !
Quelle lâcheté ! ont
renchéri les courageux de la plume, qui me font irrésistiblement penser à ces
« résistants » qui, un demi-siècle plus tard, n’en finissent pas de
bouter hors de France la peste brune, à coups de micro naturellement.
Deux réflexions me viennent
à l’esprit (que j’ai fort lent, ce billet en est la preuve).
Oncques, ne vais-je point
développer celui de la lâcheté. Le pochard était seul. La bouteille d’alcool
pouvait servir d’arme, mais c’était néanmoins un adversaire de peu de poids
pour une dizaine d’hommes agissant de concert. On ne dit rien de sa corpulence.
D’ailleurs, la grosse presse ne dit rien qui puisse expliquer quoi que ce soit.
Pas de photo. Pas d’extrait d’une bande magnétique des caméras de surveillance.
Voilà des journalistes bien peu curieux.
Si. On a appris le prénom de
l’agresseur. Ce n’était ni Kévin ni Emmanuel, ni David ni Christian. Il
s’agissait d’un Abdelnour, qui a écopé sur l’heure de dix-huit mois de tôle. On
a appris aussi que les voyageurs étaient d’ignobles mâles passifs, dont on
retrouverait la trace. Na !
On attend toujours,
d’ailleurs. Nous vivons à l’heure de l’instantané. Le téléspectateur digère son
brouet quotidien, et une soupe tièdasse chasse la précédente.
Opération de com’ ?
Votre serviteur, dont le
mode de vie, enviable par ceux qui l’ignorent, met à l’abri du tapage
médiatique, en vient à sa première question. La justice en courroux se
serait-elle montrée aussi ferme et rapide si l’agresseur s’était prénommé Kévin
ou Christian ?
Je n’oublie pas que c’est un
emmerdeur itératif qu’il est « défavorablement connu des services de
police », mais quand même… Il en est tant, des
« défavorablement », arrêtés pour la quinzième fois, qui gambadent
librement loin de nos prisons, si attractives qu’elles sont surpeuplées, malgré
les efforts de Taubira-karaoké.
Qu’on ne me croit pas en
train de défendre les immigrés en général, que je considère comme indésirables,
pour tout un tas de raisons et d’abord celui de leur nombre ; mais quand
même, ce jugement rapide, cela me semble assez… démonstratif.
La clique au pouvoir
voulait-elle envoyer un message aux Français ? « Vous voyez, on ne
laisse rien passer. L’alcoolo excité, au trou. »
(On oublie les gangs de
dealers, ça mettrait les cités en ébullition. Mais le pochard aux mains
baladeuses, hop, derrière les barreaux. Même s’il s’appelle Abdelnour)
Message reçu ? La
Fronze est rassurée. Pourquoi voter FN. Nous sommes là, avec Manu-les-valseuses
à la barre.
Et devant leur télé, bobonne
à sa moitié, qui a voté FN aux dernières élections : « Tu vois, toi
qui parles toujours des étrangers et de l’insécurité, on peut
« leur » faire confiance. « Ils » ne laissent rien
passer. »
(Sauf les caïds en Ferrari,
bien sûr)
Message reçu ?
Abdelnour en tôle, cela vous signe « une autre politique »,
non ?
Opération de com’, le musulman, cependant alcoolisé, envoyé au ballon pour conduite
(pour le moins) indélicate, c’était ma première réflexion.
« De quoi tu te mêles, connard ! »
La seconde m’est suggérée
par l’unanime mise au pilori des passagers dont la couardise a été stigmatisée.
Personne n’étant là pour les
défendre, et l’affaire étant déjà oubliée, je leur donne fictivement la parole.
Qu’ont-ils à dire pour leur défense ?
1 - Je ne suis pas
courageux, je le sais. Un coup, ça fait mal.
2 - Ça s’est passé très
vite, je n’y comprenais rien.
3 - J’ai cru qu’ils se
connaissaient. Il m’est arrivé une histoire du même genre, et c’est la femme
qui s’est retournée contre moi : « De quoi tu te mêles,
connard ! »
4 - Ça n’est pas mes
affaires, ce genre d’histoire. Je suis un type pacifique.
5 - Ça n’est pas mon
problème, la police est là pour ça, je paie assez d’impôts.
6 - Il y a sans arrêt des
agressions dans ce métro. Ils ne font rien, tant pis pour eux.
7 - J’allais y aller, mais
je me suis dit : où ça va me mener ? Les flics, une enquête… et
j’avais déjà raté le « Vingt heures ».
8 - Avec la mentalité
d’aujourd’hui, c’est moi qu’on aurait accusé. Je lui aurais pété quelques
dents, il aurait fallu que je paie le dentiste !
9 - S’il n’y avait pas eu la
bouteille… Il la cassait, et… Avec ces types-là, on peut s’attendre à tout.
10 - Elle n’avait qu’à se
débrouiller. Je ne la connais pas, moi, cette bonne femme.
11 - Vous m’accusez de non
assistance ? Qu’est-ce que vous auriez fait à ma place, honnêtement ?
12 - Je suis sorti du wagon,
c’est vrai. J’étais excédé. Ça fait des années que ça dure. Ils n’ont qu’à
faire leur boulot, comme je fais le mien.
13 - Je ne sais pas…
Personne ne bougeait. J’ai suivi les autres, je me suis dit qu’ils devaient
avoir raison.
Instinct de protection
On trouve dans ces
« témoignages » nombre de justifications pseudo-logiques*, qui
tendent à justifier la simple peur. Mais aussi quelques thèmes qui peuvent se
résumer ainsi :
-
peur du risque,
éventuellement réel (1, 9) ;
-
rejet argumenté des
autorités policières et judiciaires, et plus généralement des
« responsables » (5, 6, 7, 8, 12) ;
-
panurgisme (11,
13) ;
-
absence d’un sentiment
de cohésion avec la victime.
Ce « sentiment
absent » se remarque surtout dans les « réponses » 4 et 10, mais
sous-tend, bien évidemment, tout le reste.
Les têtes pensantes ont
suffisamment vilipendé cette déroute d’un « lien social » pour qu’on
s’interroge à ce sujet.
Laissons
« social » de côté. Ce « social » qui fait cossu, mais ne
signifie rien. Reste le « lien », qui n’est autre que l’instinct qui
pousse, plus ou moins, à protéger son semblable.
Ce lien se renforce ou
s’affaiblit selon différentes « forces » :
-
proximité affective
avec la victime, actuelle ou potentielle ;
-
vulnérabilité,
faiblesse de celle-ci ;
-
intensité du danger
encouru par la victime ;
-
risque encouru par le
sauveteur, évalué subjectivement .
Il est bien évident qu’un
parent ira au secours de son enfant (forte proximité), d’autant plus que le
péril dans lequel celui-ce se trouve est grand, et quel que soit le risque.
Nous irons au secours d’un enfant quelconque plus qu’à celui d’un adulte. Nous
irons au secours d’un camarade menacé, d’un frère d’armes, mais pas de façon
inconditionnelle. Un compatriote sera davantage soutenu qu’un parfait étranger.
Une femme (vulnérable ?) suscitera un comportement de protection, dans la
mesure où elle semble le requérir.
Une femme serait peut-être allée au secours
de la femme du métro, par solidarité féminine. Existe-t-il encore, chez les
hommes, un instinct de protection à l’égard des femmes, auquel soit étranger
toute autre notion ? Je ne sais. En tout cas, elles ont tout fait pour que
ce lien s’affaiblisse. L’ « homme viril » est plutôt moqué que
célébré.
Je ne prétends pas faire le
tour de la question. Je remarque toutefois que cet instinct de protection ne se
manifeste pas seulement dans l’action. Il se manifeste aussi, de façon passive,
par la compassion. Il se manifeste également, de façon décalée, quand toute
action sur le vif était impossible, par le désir de vengeance ; ou sur le
mode mineur, de rétribution.
Ce désir de vengeance,
tellement normal, mais décrit comme brutal et archaïque. Le débat sur la peine
de mort a été enterré sous des tonnes de « bons sentiments », le
rouvrira-t-on un jour ?
Qu’auriez-vous fait ?
Il est bon aujourd’hui de
s’indigner des effets dont on est la cause, sans crainte de dire une chose et
son contraire. Cette sottârde de Laurence Rossignol peut à la fois déplorer que
personne ne vienne à son aide pour une carte de crédit (enjeu mineur)
subtilisée par un groupe de racailles (risque élevé) dans l’indifférence des
témoins de la scène, et affirmer que les enfants n’appartiennent pas à leurs
parents.
Le « lien social », souhaitable quand il concerne sa petite
personne, devrait-il être mis aux abonnés absents lorsqu’il est le plus fort,
le plus évident ?
On a toujours su que les
imbéciles sont plus dangereux que les méchants.
Une Rossignol, qui voulait
que les fliquettes soient accompagnées par d’autres fliquettes jusqu’à leur
domicile afin de leur éviter d’être agressées, est (parmi tant d’autres) une
personne éminemment dangereuse.
Je ressens un peu de honte
en pensant à ces hommes qui ont mis leur testostérone au vestiaire, mais je ne
peux m’empêcher de demander, comme mon interlocuteur numéro 11 :
qu’auriez-vous fait ?
* voir mon précédent billet
dimanche 18 mai 2014
Lire Pareto, il a tout expliqué, ou presque tout.
Au précédent tournant du
siècle, il y a eu Emile Durkheim, Max Weber et Vilfredo Pareto. Qui,
aujourd’hui, connaît Pareto ? Rares sont ceux qui savent le nom du
sociologue italien, catalogué comme « néo-machiavélien », plus rares
encore ceux à avoir lu ses œuvres.
Ce n’est pas seulement que
la lecture de Pareto soit rébarbative ; son Traité de Sociologie
générale (1916) compte plus de
dix-huit cent pages bourrées de notes (en latin, en grec, en hébreu, en vieux
français, en italien, en allemand !) ; c’est surtout que Pareto est
victime de la plus cruelle des censures. Il n’est pas de ceux que l’on combat, il est de ceux dont on ne
parle pas, sans doute parce qu’il en dit trop. C’est tellement plus facile. Le
Capital a été commenté par des
millions d’hommes. Pareto a été lu par une poignée d’initiés. Si la rareté fait
le prix d’une chose, courez chez votre libraire (qui ne saura probablement pas
de qui il s’agit, j’en ai fait l’expérience), ou, mieux, commandez le Traité en ligne (Librairie Droz, Genève).
La démarche de Pareto n’est
pas, elle non plus, susceptible de lui apporter les suffrages d’un large
public, fût-ce de passionnés de sciences humaines. C’est que cet ingénieur de
formation, aristocrate dans l’âme et par le sang, érudit comme on n’en fait
plus, demeure –comme le dit Raymond Aron dans sa préface, « victime de
ceux qu’il a brocardés, les intellectuels, et en particulier, les moralistes et
les philosophes d’un côté, les idéalistes, révolutionnaires, démocrates
(disons, en langage moderne, les hommes de gauche) de l’autre ». Excellents motifs pour exhumer Pareto, en nos
jours où l’idéologie dominante vacille après avoir régné plus d’un
siècle !
Raisons raisonneuses
Pareto, logicien, mathématicien,
chimiste, traite la sociologie avec les outils et les méthodes d’une science
« dure », sans pour autant être « scientiste ». Pour cela,
tel un naturaliste, il observe, compare, archive. Considérant la sociologie
comme un domaine qui peut tendre à une certaine exactitude scientifique, Pareto
lui en applique les principes : la recherche de constantes.
Les actions humaines
s’expliquent. Mais elles sont éclairées, non par les explications que les
hommes eux-mêmes en fournissent, mais par ce qui se cache derrière : la
relation entre ces actes et les « résidus » (manifestations des
instincts). Pareto soulève le voile, plus ou moins épais, qui existe entre les
« raisons » que revendiquent les hommes au sujet de leurs actions, et
ce qui les fait réellement agir : marionnettes mues par les sentiments,
« mais des marionnettes qui parlent et raisonnent » (Aron).
Les hommes pensent, ils
raisonnent – bien ou mal. En fait, ce qu’ils aiment, c’est moins la raison que
l’acte de raisonner.
Pensées, actions, peuvent être
logiques (en adéquation avec un but, considéré de manière objective ou
subjective, selon le niveau de connaissances), ou elles peuvent être
non-logiques, terme que l’on prendra soin de distinguer
d’ « illogique ». L’œuvre de Pareto consiste à classifier, à
illustrer d’exemples tirés de l’histoire des civilisations comme de ceux de son
temps, à ranger le monde des idées et des faits sociaux dans autant de tiroirs
qu’il est nécessaire, comme un entomologiste classe les espèces, les genres,
les familles, les embranchements.
L’entomologiste ne se
préoccupe pas de savoir s’il est « mieux » d’avoir six pattes, ou
quatre, s’il est « moins bien » d’être un invertébré qu’un vertébré.
Pareto ne s’occupe pas davantage de dire si les « renards » (ceux qui
sont davantage imprégnés par « l’instinct des combinaisons ») valent
mieux que les « lions » (chez qui prédomine ce qu’il nomme « la
persistance des agrégats »). Pas davantage, il ne s’agit de préférer les
actions logiques aux actions non-logiques : ces dernières peuvent être
socialement utiles, même si elles sont « fausses ».
Pareto décrit, il classe, il
démontre : pas de monde idéal à chanter, pas de déterminisme, pas
d’historicisme, mais la description de mécanismes sociaux, qui procèdent de
sentiments pour aboutir à des pensées, à des croyances, à des actes. Il se
défend âprement : « Nous n’entendons nous occuper en aucune façon
de la vérité intrinsèque de n’importe quelle religion, foi, croyance
métaphysique, morale ou autre. Ce n’est pas que nous soyons imbu du moindre
mépris pour ces choses, mais seulement qu’elles sortent des limites où nos
désirons rester. Les religions, croyances, etc, nous les considérons seulement
de l’extérieur, pour autant qu’elles sont des faits sociaux. »
Pareto n’est pas le fondateur
d’une « philosophie de l’Histoire », pas plus que d’une philosophie.
D’ailleurs, il se gausse des philosophes : imprécision des termes,
polysémie, raisonnements approximatifs. Kant est renvoyé, comme Hegel, ou
Rousseau, ou Platon, à leurs chères études, idéologues qui s’ignorent, et voilà
qui n’est pas, non plus, pour le rendre sympathique. Il se moque de « l’essence
des choses », et de la
métaphysique. Pareto, c’est un mécanicien qui démonte un moteur pièce par
pièce, un chimiste qui étudie les corps et observe leurs réactions. Comme le
fera plus tard un autre grand méconnu, Louis Rougier, dans les années trente,
il met au jour les traces des croyances affectives sous le vernis d’arguments
pseudo-rationnels.
Une magnifique érudition
Le discours, « simple cliquetis de mots », n’est qu’un habillage, plus ou moins élégant, plus
ou moins révélateur des formes qu’il revêt. Les mots sont piégés par
l’opportune charge affective qu’ils recèlent « termes douteux,
indéterminés, qui ne correspondent à rien de concret » (p. 1006). On ne saurait dire mieux aujourd’hui, où
le verbiage et l’affect dominent comme jamais, sans doute, jusqu’au simple bon
sens, célébré par Bergson. Hautain, le Marquis professe qu’il eût préféré
remplacer les termes qu’il emploie par de simples lettres a, b ou c, s’il
n’avait du renoncer à cette méthode « par crainte que le raisonnement
n’en devienne ainsi trop ennuyeux et obscur » (p. 55). Ce n’est pas que le Traité n’abonde pas en diagrammes et équations. Le lecteur
pressé passera outre ; comme il passera outre les innombrables notes qui
accompagnent le texte, se sentant submergé dans un océan d’érudition. Il aura
tort, d’ailleurs. Cette érudition magnifique est un régal – même si l’on
n’entend pas le grec ou le latin, Pareto ne fait pas l’aumône de traduire.
D’ailleurs, Pareto, une fois que l’on a compris les principes qui le guident (actions logiques et
non-logiques, résidus, dérivations, leurs propriétés, forme générale de la
société, équilibre social dans l’Histoire), peut se lire « en décousu ».
On avance, on saute, curieux on revient en arrière, et l’intérêt ne fait que
grandir.
Pareto ne néglige rien, et
surtout pas ce qui est pourtant essentiel. « Beaucoup de romans nous font
également connaître les opinions existantes ; celles-ci correspondent
souvent à certains faits, et en donnent une idée synthétique, meilleure que
celle qu’on pourrait avoir de témoignages directs, nombreux et confus. « Quand
un livre a beaucoup de lecteurs, il est assez probable qu’il se conforme à
leurs sentiments, et qu’il peut, par conséquent, servir à les faire
connaître. » On pourrait en
dire autant, de nos jours, du cinéma, ou de la façon dont sont relatés ou
ignorés, par les médias, les
faits-divers. Sous l’apparence, il y a du sens, dont parfois même le scripteur
ou le locuteur est peu conscient. Le témoin nous en apprend souvent davantage
par la façon dont il témoigne, de l’ « endroit » d’où il
témoigne, que par l’apparente neutralité qu’il affiche. Il n’est que de lire
les journaux, ou d’écouter la télé, pour s’en convaincre.
Le rejet de l’imposture
Froide neutralité ?
Celle de la méthode, sans doute. Mais l’homme, le sexagénaire qui écrit le Traité, se dévoile dans la puissance (maîtrisée) de ses
formules. Le « caricaturiste impitoyable d’une humanité déraisonnable
et raisonneuse » (Aron) sait
être féroce, mais l’on devine que sous la férocité il y a un homme attentif,
sensible, décrit de son vivant comme affable et brillant causeur.
Il ne pouvait en être
autrement. L’auteur des Systèmes socialistes n’est pas indifférent au devenir de la société.
Ce n’est pas sans une
certaine jubilation qu’on lit ces lignes sur l’égalitarisme : « Les
inférieurs veulent être égaux aux supérieurs, et n’admettent pas que les
supérieurs soient leurs égaux. Au point de vue logique, deux propositions
contradictoires ne peuvent être vraies en même temps […]. Mais la
contradiction disparaît, si l’on considère que la demande d’égalité n’est
qu’une manière déguisée de réclamer un privilège ».
Ses griffes n’épargnent pas,
bien sûr, le socialisme : « Le terme de socialisme a représenté et
représente encore quelque chose de grand, de puissant, de bienfaisant ; et
autour de ce noyau se disposent une infinité de sensations agréables,
d’espérances, de rêves. De même que les anciennes divinités se succédaient, se
dédoublaient, se faisaient concurrence, ainsi de nos jours, outre la divinité
du socialisme, nous avons celles des « réformes sociales » ou des
« lois sociales » ; et les petits dieux ne manquent pas ;
tel « l’art social », « l’hygiène sociale », la
« médecine sociale », et tant d’autres choses qui, grâce à l’épithète
« sociale », participent de l’essence divine. »
Toujours actuel, Pareto
analyse l’indulgence manifestée aux délinquants : « Les sentiments
de pitié sont surtout intenses pour ceux qui sont présents ; ils sont
beaucoup plus faibles pour ceux qui sont absents […]. On ne voit pas la
victime : elle a disparu ; y penser devient un devoir
pénible […] Notez que ces mêmes jurés qui ont aujourd’hui absous un
assassin, s’ils assistent demain à un assassinat, voudront peut-être, avec le
reste de la foule, lyncher celui qui a commis le crime. »
« Bourgeois » et
« révolutionnaires » se voient criblés des mêmes flêches. Ce n’est
pas par nihilisme ou manque de cœur, c’est par rejet de l’imposture. Ainsi, à
propos des conquêtes, coloniales en particulier. « C’est ainsi […] que
les Français délivrèrent les habitants de Madagascar, et, pour les rendre plus
libres, en tuèrent un certain nombre et réduisirent les autres dans un état auquel
il ne manque que le nom d’esclavage […]. On dit tout cela sérieusement, et il y
a même des gens qui le croient. Le chat attrape la souris et la mange ;
mais il ne dit pas qu’il le fait pour le bien de la souris ; il ne
proclame pas le dogme de l’égalité de tous les animaux, et ne lève pas des yeux
hypocrites vers le ciel pour adorer le Dieu de l’univers. »
La fin des « renards » ?
Pareto n’explique pas
« tout ». Quand il éclaire l’homme « par en-dessous », il
ne va pas plus profond qu’il n’a décidé de le faire. Il ne s’intéresse pas aux
fondements innés des comportements humains. Au début du XXème siècle, la
science balbutiait, en matière de génétique, sans même parler d’éthologie. Son
terrain de chasse, ce n’est pas davantage celui que veut explorer Freud, ou
Jung, à la même époque.
Mais on ne parle pas de
Pareto, et surtout quand on mesure ses propres limites, sans avoir l’impression
désagréable de le trahir un peu. Les lignes qui précèdent, dans leur immodestie
d’autodidacte, le feraient sans doute se retourner dans sa tombe genevoise.
Tant pis ! Je suis certain que ce n’est pas le mal interprèter que
d’appliquer sa méthode de décryptage pour expliquer comment le socialisme,
cette erreur anthropologique, peut encore être à l’affiche, dans nos sociétés
féminisées, cent ans après la parution du Traité. Le travail conjugué des rêveurs (les « humanitaires », qui « nous préparent de grandes
tueries ») et celui des malins
(les « spéculateurs »,
dans le sens de Pareto), l’explique fort clairement. Nous en sommes là.
J’ajouterai (c’est
audacieux) que Pareto me fait irrésistiblement penser à Darwin. Darwin,
observateur avisé de la Nature, publiait L’Origine des Espèces alors que Pareto, observateur sentencieux de la
nature humaine dans sa dimension sociale, avait onze ans.
Darwin a fait choir l’homme
de la Création, et l’a rendu à la Nature. Il a fallu du temps. Pareto a tenté
d’arracher l’homme à ses dangereuses illusions raisonneuses. Il n’y a pas
encore réussi, mais ça viendra peut-être.
Puisqu’il faut revenir à
l’actualité, une dernière citation. Pareto, à propos de bétail promis à
l’abattoir : « Eux, au moins, n’avaient pas voté pour le boucher
qui allait les égorger, pour le bourgeois qui allait les manger. »
Élections, pièges à
cons ? Peut-être. Mais ne faut-il pas, même si c’est inutile, voter contre
les égorgeurs de notre Nation ?
L’ « homme de
qualité » qu’est Pareto ne répond pas. Au moins nous ouvre-t-il les yeux.
Il nous apprend comment décrypter.
Le constat est désabusé,
mais peut-être pas désespéré. Et cet humaniste (à sa façon bien
particulière !) nous dit aussi que les « renards » doivent, tôt
ou tard, être supplantés.
Lisez Pareto, il vous dira
pourquoi et comment !
dimanche 11 mai 2014
Un remède de bonne femme
L’homme (et la femme)
politique français était-il malade ?
Je me posais très
sérieusement la question, ce soir-là.
Malade mentalement, il
(elle) l’était sans conteste.
Mentalement ?
(ma rêvasserie dériva : ne
devait-on pas subordonner toute prétention à une fonction élective à
l’obtention d’un certain niveau aux tests de QI les plus simples ? La
psychométrie était sans doute une science imparfaite, mais il était certain
qu’en dessous d’un certain seuil, il y avait vraiment un problème.
Ne voulant pas barrer
l’accès à la vie politique à des intelligences médiocres qui en font tout le
charme, j’aurais fixé ce seuil à, disons, 90 de QI (100 étant la moyenne). La
racaille d’en haut aurait continué à nous faire rire. Bref, le couperet ne
serait tombé qu’au niveau du crétinisme au sens médical du terme.)
On m’aurait objecté que de
véritables simples d’esprit n’auraient pas fait plus mal que les habiles
abrutis que nous avions aux manettes.
Oui.
Cela exigeait réflexion.
Là-dessus j’ai repris mon
bouquin. C’était Trois Hommes dans un Bateau, vingt fois relu ; l’un de ces amis fidèles qui
m’accompagnent dans mes solitaires pérégrinations nautiques.
Une thérapie économique
L’homme (et la femme)
politique étaient-ils physiquement malades ?
C’est la question que me
suggérait Jerome K Jerome quand
il décrivait les symptômes de cette insidieuse indisposition : « a
general disinclinetion to work of any kind » (un dégoût général pour
quelque forme de travail).
Cette horreur de l’effort,
Jérôme (je francise) feignait de s’étonner qu’elle pût être soignée, non par
des pilules, mais par quelques tapes vigoureuses appliquées sur le côté de la
tête. « Et aussi curieux que cela puisse paraître, ces tapes m’ont
souvent guéri (…). Vous savez, c’est souvent comme ça, ces remèdes de bonnes
femmes sont souvent plus efficaces que toute la pharmacopée ».
Un dégoût profond pour toute
forme d’effort : le personnel politique, et tout ce qui gravitait autour,
journalistes, z’artistes, était très fatigué, c’était évident, après de
nombreuses décennies de consanguinité dégénérative.
Comment soigner tout ce
monde ?
Pour mieux y réfléchir, j’ai
éteint la lumière parcimonieuse de ma cabine.
J’ai d’abord songé à une
grande maison de repos bisounours. Quelques travaux manuels, bêchage,
labourage, élevage de gentilles vaches à traire (cela, ils connaissent déjà)
auraient occupé le quotidien. Finies, les harassantes réunions et les
épuisantes parties de croche-pied entre collègues !
Puis j’ai pensé à un remède
moins dispendieux ; davantage à la portée d’une France au bord de la
banqueroute, et que seule la générosité de donateurs désintéressés, sinon au paiement
des intérêts de la dette, évitait d’être mise en faillite.
La solution, c’était
évidemment le clump.
Ces clumps sur le côté de la tête, dont Jérôme disait qu’aussi
étrange que cela puisse paraître, ils l’avaient mieux soigné que des boites
entières de pilules.
(Une thérapie économique,
peu d’effets secondaires, c’est les labos pharmaceutiques, la SS, Roselyne
Bachelot qui serait contente !)
Divertissement à la française
Qui n’a rêvé de gifles et de
coups de pied au cul, distribués sans parcimonie, pour réveiller les intellects
en veilleuse, les courages endormis ? De ces pare-à-virer qui réveillent
les somnolents, de ces soufflets qui sanctionnent mieux qu’un long discours, de
ces bottages de fesses qui rafraîchissent les méninges (attention, pas de
bavure : certains ont l’oignon fragile), de ces torgnoles qui font retrouver
la mémoire et stimulent les synapses paresseux.
Je confiai mon projet à un
ami (d’où sortait-il, celui-là ?). Il intervint :
- On n’y suffira pas. Ils
sont trop nombreux. On s’y est mis par centaines de mille, aux jours de
colère. Ils n’ont rien senti. La
baffe électorale, ça n’a pas marché non plus… Alors ?
- Tu n’y es pas, mon vieux.
L’heure n’est plus aux symboles, aux minauderies, aux gracieusetés. Je te parle
de véritables coups de pieds au cul, pas d’ersatz.
- Tu rêves. Les pieds nous
démangent, mais les culs sont haut placés, et bien protégés.
- D’autres ont su…
- Je vois. Une Révolution.
- En principe, je suis
contre. Elles n’ont jamais apporté que le pire. Juste un moment de défoulement,
que nous procurerait un chambardement bon enfant. Au final, pas de
grands mots, pas de têtes sur les piques, pas de bourgeois à la lanterne. Juste
un divertissement à la française. Léger. Populaire mais pas populacier :
songe à ces belles journées que seraient celles du coup de pied au cul,
administré aux nullardes et aux nullards qui prétendent diriger la France, lui
faire franchir les plus hauts obstacles, et trébuchent sur les moindres
taupinières.
- Il y en a de plus ou moins
méritants, il faudrait être équitable.
- Tu as raison. Il faudrait
établir un barème. Une simple connerie, genre Laurence Rossignol, une torgnole par connerie.
- Elle va avoir la tête qui
tourne.
- Brick Nicole, idem, et un an de soupe populaire.
- Perrichon Nicole, une baffe par cent mille contraventions annuelles pour
excès de vitesse … Disons, une baffe et demie, en gros.
- Valls Manuel, un coup de pied au cul chaque fois qu’il prononce
le mot « république ».
- Le boulet nommé Désir…
- Là, ça va être du lourd.
Taloche et bottage d’arrière-train. Avec circonstances atténuantes. Il ne sait
pas toujours ce qu’il dit, d’autres le lui soufflent.
- Le grand bazar oriental…
- On fera un prix de gros.
- NKM, qui a pris le métro, et qui y a vu comme un moment
de grâce…
- Double ration, pour
stupidité et trahison.
- Montebourg, Moscovici, Hamon ?
- De bonnes têtes à claques.
- Kader Arif, Fleur Pellerin ?
- Faut-il baffer
l’incompétence ?
- Aubry ?
- On prendra soin d’elle
avec beaucoup de care.
- Taubira ?
- Reconduite musclée en
Guyane, chez elle comme elle dit, puisque tout la gonfle, en France.
- Filipetti ?
- Les mandales, elle
connaît. Changeons de cible.
- Morelle Aquilino ?
- Botté avec des chaussures
de luxe.
- Strauss-Kahn ?
- Pan-pan cul-cul. On
choisira une main de femme.
- Il est capable d’en
redemander, le vicieux.
- Fabius ?
- Transfusion de coups de
savate.
- Et Hollande ?
- Traitement présidentiel.
« À l’Est ou à l’Ouest ? »
Et ça défilait. Le jury
délibérait peu, type Fouquier-Tinville, mais dans une ambiance de Foire du
Trône. Les accusés étaient conduits au tribunal avec de simples bourrades, les
gardiens étaient du genre bon enfant, avec de bons visages de paysans et
d’ouvriers, d’artisans et de modestes entrepreneurs. Leur figure ne ruisselait
pas toujours d’intelligence, mais la haine était absente, ou bien soigneusement
cachée sous l’hilarité de voir les puissants de la veille rabaissés comme
l’avait été auparavant la piétaille. On avait viré de bord. Les grands
étaient devenus les petits. L’avant-garde, qui auparavant donnait le ton et
disait le bien, était devenue l’arrière-garde, conduite au pas
cadencé : « han, dé ! han, dé ! ». La sentence tombait.
Pas de bois de justice, pas
de couperet : baffes et coups de pieds au cul.
Il y avait des
protestations, des indignations. Des énarques discouraient. Des politiques
reconnaissaient des erreurs, ils avaient été mal conseillés, mais exigeaient un
vrai procès, et un châtiment moins dégradant. On se gaussait. Un vieux marin à
favoris résumait : « Le peloton d’exécution, pour la
bigaille ? Failli chien de buraliste, qu’est-ce que t’as à
groumer ? t’auras droit au remède des gamins, la pavoine. Pare à
virer ? Envoyez ! »
Najat protestait au nom du droit des femmes à ne pas être
molestées. Un exécuteur des basses œuvres rétorquait : « Vous avez
voulu l’égalité, vous l’avez. »
Coups de pied au prose sans
distinction de race ou de sexe. Ségolène hoquetait : une ignominitude, et se plaignait de n’avoir pas eu
droit à un défenseur, oubliant les qualités de la justice à la chinoise, simple
et rapide.
On proposait le choix à Cécile : « À l’Est, ou à l’Ouest du méridien de
Greenwich ? »
Avant d’administrer le
remède salvateur, l’officiant ou l’officiante (on établissait une rotation non
discriminatoire, il y avait tant de pain sur la planche) scandait :
« Demi-tour… droite ! ».
« Allons, un peu de
bonne volonté ! Penchez-vous. Vous n’allez presque rien sentir », disaient certains dans le style médical.
D’autres prenaient un ton
compassé : « Si Monsieur avait la bonté de tendre un peu le
postérieur… »
Baffes et coups de pied au
cul.
Certains partaient en se
frottant la fesse qui disait merde à l’autre. Brassens aurait bien ri. BHL rétablissait le savant désordonné de sa coiffure…
C’était bon enfant. Plein de
gaieté et de bonne humeur gauloise.
Lavage de cerveau
Un autre copain, qui
ressemblait à l’idée qu’on se fait de Harris, bourru, barbu, le nez rouge,
proposa de chanter des chansons comiques tandis que les prévenus (prévenus,
ô combien, et depuis combien de temps !) recevaient leur médication.
Je protestai ; ça, ce
serait trop cruel.
Cependant, on en venait
aux cohortes des journalistes, des universitaires, des sociologues, des
démographes, des publicitaires, des humoristes, des économistes, des
politologues, des éducatologues, des sexologues… des pompiers incendiaires
d’assoces, aux mines chafouines et au verbe haut, et qui maintenant courbaient
l’échine ; de ces bienfaiteurs de l’Humanité, qui jamais de leur
vie n’avaient accompli une seule heure de travail honnête, comme disait Conrad.
Pour les politiques, ç’avait
été rapide. Là, c’était plus délicat.
Il y avait des gens qui
avaient fait des livres, et qu’on ne pouvait appeler des écrivains ; des
gens qui avaient fait des toiles, et qu’on ne pouvait appeler des
peintres ; des gens qui avaient fait de la musique, et qu’on ne pouvait
appeler des musiciens ; des metteurs en scène, qu’on ne pouvait appeler
des cinéastes…
Le Président du jury
haranguait ses troupes :
- Attention ! Il ne
s’agit pas de juger le fond ou la forme. Nous ne sommes pas là pour ça. Le
navet, même cultivé extensivement, n’est pas un objet de délit. Nous
sanctionnons seulement l’œuvre z’artistique qu’en tant qu’outil de
propagande !
Ce n’était pas facile, sauf
s’il s’agissait de quelque machine évidemment destinée à décérébrer le Français
moyen, dans le genre de « Plus belle la Vie ».
Des témoins apportaient des
bouquins, des photos, des cassettes vidéo, des enregistrements, les
distribuaient à des experts en lavage de cerveau.
Il y avait beaucoup de
non-coupables, au bénéfice du doute. Des sympathies jouaient. Untel ou Unetelle
avaient du talent. Kassovitz
avait obtenu un César. Le Président observa que Leni Riefenstahl ou Sergueï
Eisenstein en avaient aussi, du talent, mis au service de sales idées.
Balasko les avait bien rire.
- Pas dans ce film,
remarquait un examinateur. Un policier. Cette femme-là… C’est fou, quand un acteur se met en scène, ce que
ça peut produire comme naveton…
- Sinon ?
- Une petite promo de
l’homosexualité masculine, glissée dans le scénar.
- Bof.
- Côté navet, j’en ai un
autre, dans le genre comique. Pas pu aller au bout. Et le pauvre Carmet qui
s’est fourré là-dedans. Un sac de merde.
- Ça lui va bien. Balasko,
ses idées politiques étaient à la hauteur de ses talents de scénariste.
- Non, non. Sac de Noeuds, c’est le titre du film.
Et la cassette alla
rejoindre des milliers d’autres, dans les poubelles débordantes. Trente ans de
littérature engagée, d’artistes à messages, de journalisme bien-pensant,
d’orthodoxes de la contestation, d’éradicateurs de mauvaises pensées,
d’indignation sélectives, d’inquisition chattemite, de piafferies à micro, cela
cubait.
On baissait les bras.
Les examinateurs se
frottaient les yeux de fatigue.
-Dupont Lajoie, réalisateur Yves Boisset, 1974. Une jeune fille violée, et par qui ? Une
sale franchouillard, bien sûr. Comme s’il n’y avait pas d’autre choix, plus
probable…
La cassette voltigea vers le
tas d’ordures.
- Et celle-là, qu’est-ce que
vous en pensez, patron ? Un type qui se transforme en chien, ou le
contraire. Ça s’appelle Didier. Drôle comme tout.
- Et alors ?
- Sans rapport évident avec
l’histoire, y’a une manif’ de bourgeois qui crient : « Ni bâbord, ni
tribord, la Nation d’abord ! » « Des cons », commente Bacri qui doit vivre dans une mansarde, et gagner le SMIC.
- Bacri, j’adore ! Mais
ce n’est pas la question. Vous en avez vu beaucoup, de ce genre de défilé, dans
les années quatre-vingt dix ? Ils auraient pu trouver des manifestants plus
crédibles. Ensuite ?
- La manif est encadrée par
des gros bras genre néo-nazis.
- Exemple évident de
conditionnement subliminal, conclut le Président qui aimait les mots savants,
mais ne les employait pas toujours à bon escient. Le réalisateur, le
scénariste ?
- Alain Chabat. Il est vraiment très drôle, dans le rôle du chien.
Et l’histoire est marrante…
Didier fut innocenté, parce qu’avant tout on aimait rire,
et qu’on n’avait pas de rancune.
La Journée des Giroflées
Finalement, on décida
d’amnistier, en bloc. Il y avait trop de monde, et c’était l’heure du
casse-croûte, et puis Georges avait l’habitude de manger à heure fixe, sinon
son estomac lui jouait des tours, ce qui le rendait inapte pour son travail à
la City. Harris se gaussa : il appelait ça du travail !
Des bouteilles furent
débouchées (celles d’Harris étaient déjà vides). On porta des toasts. Aux
Français. Aux Musulmans de France. Aux Juifs de France. Aux Chinois de France.
Aux femmes de France et d’ailleurs. Aux Africains de France. À tous ceux qui
aimaient la Maison France.
C’était le Grand Pardon, par
la vertu curative de quelques nasardes et coups de pompes dans le derche. Du
Molière !
Il y avait des discours un
peu pâteux, des plaisanteries vaseuses, et on riait, à en étouffer. On se
tapait sur les cuisses.
Un artiste grattait sa
guitare et chantait :
« Ô
vous les arracheurs de dents,
« Vous
les cafards les charlatans,
« Les
prophèèètes !
« Comptez
plus sur le contribuab’
« Pour
payer les violons du bal
« À
vos fêtes !
Et on reprenait en
chœur :
« À
vos fê-ê-tes ! »
C’est Brassens qui aurait
été content !
On décida de faire de ce
jour une grande fête de la Réconciliation des Français, jour férié
naturellement, qu’on célébrerait chaque année sous le nom de :
LA JOURNÉE DES GIROFLÉES
Je rigolais, je rigolais.
C’est cela qui m’a réveillé.
*************
Petit lexique, d’après
Armand Hayet, ancien Capitaine au Long Cours
Bigaille :
Pour les pécheurs, le menu fretin. Par extension, les gamins, tout ce qui n’est
pas un « homme ».
Failli
chien de buraliste : Failli : bon à rien ; buraliste : confusion
avec bureaucrate, fonctionnaire.
Bourrade :
coup de poing appliqué sur le dos d’un marin faisant peu d’effort pour hâler
une manœuvre, et de ce fait augmentant le travail de ses camarades.
Groumer :
rouspéter.
Pare-à-virer :
vigoureuse manifestation de mécontentement administrée au matelot indécis ou
paresseux, pour le rappeler à son devoir. Pare à virer est le premier des
ordres précédant un virement de bord. Il est suivi de « envoyer »,
qui indique au timonier d’aller au vent, tandis que l’équipage manœuvre la
voilure.
Pavoine :
gifle.
mercredi 30 avril 2014
Vaticinations à propos d’une cocotte-minute
Quelle belle invention que
la cocotte-minute !
(inventée en 1948 par le
père de Patrick Devedjian, le croira-t-on ? dont la société en faillite
fut rachetée par le Groupe SEB)
Non seulement elle permet la
cuisson saine et rapide des aliments, en économisant l’eau et l’énergie (qualités
appréciées par les navigateurs), mais elle est aussi source de fructueuses
méditations.
Une cocotte-minute est
composée d’un corps en métal épais et d’un couvercle solidement ajusté. Sur le
couvercle, une petite pièce mobile soigneusement tarée permet d’éviter, en se
soulevant, que la pression ne monte au-delà de la limite de rupture de la
cocotte, évitant ainsi une explosion qui nuirait à l’intégrité physique de la
ménagère, quel que soit son âge.
(pardon aux ménagères de
leur expliquer ce qu’elles savent déjà ( ?).
Curieux, ce nom qui lui
aussi n’existe qu’au féminin, comme « harpie », n’est-ce pas, Mme
Rossignol ?)
Passons.
La plus complexe des "machines"
La petite soupape de notre
cocotte sous pression est un exemple très simple d’un système de régulation.
Toutes les machines sont pourvues de systèmes de régulation élémentaires ou
complexes, depuis la cocotte-minute jusqu’aux centrales énergétiques (versions
élaborées de la cocotte-minute), en passant par la locomotive et le moteur à
combustion interne.
Un système de régulation
peut être extrêmement sophistiqué, redondant, utilisant de multiples palpeurs
et lui-même régulé, confiant la décision à un « cerveau »
électronique, mais le but est le même : intégrer à un système un ou des
sous-systèmes, que l’on a doté de certaines règles, et provoquant une
rétroaction.
De toutes les
« machines », la plus complexe est l’être vivant (il faut dire qu’il
a fallu des centaines de millions d’années d’« étude », sous la
férule d’un maître implacable nommé « adaptation »). Le moindre
animal est littéralement bourré de capteurs et de régulateurs.
Anticipant un peu, la
question est : les systèmes de régulation, dans le supra-système que
constitue l’homme en société, fonctionnent-ils correctement ?
Le monton-tribuable
Revenons à nos moutons.
Le mouton, comme tout ce qui
vit, depuis les plus simples organismes unicellulaires en passant par les
eucaryotes, et jusqu’aux animaux supérieurs, est doté de systèmes de régulation
intégrés, qui fonctionnent sans que le « volonté » ait son mot à
dire, heureusement. L’organisme maintient son homéostasie en termes de
chaleur interne, d’absorption d’énergie, etc. Dans un environnement pauvrement
ensoleillé, l’arbre étend son feuillage afin de recueillir davantage de
lumière, qui le nourrit par photosynthèse. Nous transpirons pour nous
rafraîchir. La toison du mouton régulièrement tondu, comme l’est le contribuable,
repousse pour le protéger du froid.
Question annexe : le
mouton-tribuable est-il doté en interne d’un système de régulation
efficace ?
(car actuellement, il
grelotte, le contribuable ; mais ne nous égarons pas).
L’état d’équilibre interne
(homéostasie) est obtenu par une infinité de capteurs. Ils disent tout sur la
situation de l’organisme par rapport à son environnement immédiat, et jusqu’à
la position du corps (haut, bas), grâce aux senseurs de l’oreille interne (qui
perturbés par le mouvement d’un bateau, s’affolent et produisent cette nausée
si redoutée des terriens mal amarinés, jusqu’au vomissement).
Nettoyons, et passons.
Vertueuse automaticité
La grande vertu de ces
régulateurs est leur automaticité. Nous ne pouvons commander à notre cœur de ralentir
ou d’accélérer à volonté (quelques fakirs, peut-être…) durant le sommeil ou en
cas de prescience d’un danger.
Ici, une observation
s’impose (oui, oui).
Quand on passe de l’animal
« inférieur » à l’animal « supérieur », et de l’animal
« supérieur » à l’homme, les automatismes ne cèdent pas le haut du
trottoir à « l’intelligence ». Au contraire, ils se subdivisent,
se multiplient et s’affinent, de même que les régulations qui les rendent
possibles.
Un mouvement volontaire est
effectué « à la commande », mais son exécution est confiée à un
nombre toujours plus grand d’ « esclaves » qui travaillent sans
avoir besoin d’indications détaillées.
Que l’on pense au geste
délicat de saisir un œuf (frais). Le cerveau commande le geste, en vue de le
mettre à frire (l’œuf, pas le cerveau).
(frits, les cerveaux de nos
élites le sont déjà).
Le geste de saisir cet œuf
fragile entre ses doigts, d’effectuer l’exacte pression pour le soulever sans
le casser, de maintenir cette pression sans l’accroître, etc, ce geste tout
simple est accompli grâce à des multiples cycles régulateurs, et une somme
énorme de « connaissance » acquise phylogénétiquement. Il en va
de même pour un singe qui saute sur une branche. L’extraordinaire capacité que
cela exige, et dont l’exécution met en œuvre un nombre non moins étonnant de
détecteurs, de capteurs, de cycles de rétroaction régulés, tout cela est bien
sûr automatisé et inné. Le singe qui « réfléchirait » chacune
de ces opérations successives se casserait la gueule, à coup sûr.
Soit dit en passant, on
comprend que l’homme descend certainement d’une espèce de primate arboricole,
tant l’environnement de ceux-ci exige un développement du système nerveux.
Sous-systèmes à deux faces
La cocotte-minute m’a mené
fort loin, mais pendant ce temps mon ragoût cuit, alors un peu de patience. Le
petit jet de vapeur m’informe que sa régulation fonctionne conformément aux
calculs de Monsieur Devedjian père (que je salue en passant, même s’il est dans
l’incapacité de me rendre la pareille).
Mais sautons l’homme (et la
femme), sa spécificité et le fossé qui le sépare des animaux les plus proches.
J’en viens à ce qui est
l’objet de ce billet : les sociétés et les civilisations.
Je disais que la grande
vertu des systèmes régulés, c’est l’automaticité de cette régulation
fonctionnant « en boucle ». Cela « sent » et régule tout
seul, mettant en œuvre un cycle de rétroactions dont il est vain de se demander
lequel, du système ou du sous-système régulateur, « commande » l’autre,
comme pour la poule et l’œuf. Ils ne peuvent fonctionner l’un sans l’autre, de
même qu’à propos d’un moteur, il est vain de se demander si c’est tel
sous-système qui prime (l’arbre à cames, par exemple), ou tel autre (le
mouvement du vilebrequin qui entraîne l’arbre à cames). Les sous-systèmes opèrent
de concert.
Audacieusement, on peut
considérer l’homme, organisme hyper-sophistiqué, comme un système opérant, muni
de sous-systèmes eux-mêmes se subdivisant en sous-systèmes allant du général au
particulier, et ainsi de suite, chacun « ouvert » vers le bas
et vers le haut, comme Koestler (Arthur) le décrit brillamment en comparant ces
sous-systèmes à des visages de Janus*.
Homéostasie sociale
Quand on passe au
supra-individuel (l’homme ou l’animal vivant en société), le parallèle peut se
poursuivre : une société, une civilisation, doit sa conservation (son
homéostasie sociale, en quelque sorte), à la multitude des individus qui
composent cette civilisation. L’automaticité de ces « sous-systèmes
humains » n’est pas aussi inflexible que dans un organisme moins élevé sur
l’échelle de la complexité, bien sûr. Chez l’homme, même si l’inné reste le
soubassement indispensable de son existence, le culturel permet de
spectaculaires variations. L’homme pense, il rationalise (ou prétend rationaliser,
voir Pareto), mais il n’en reste pas moins que sa connaissance du monde (vu à
travers le filtre de ses expériences personnelles ou collectives, ainsi que de
ses croyances), possède quelque chose d’instinctif. Une société
« sent », et « régule » de façon infra-consciente,
grâce aux êtres qui la construisent, la pérennisent et la perfectionnent – du
moins tant que la régulation fonctionne à peu près correctement.
Cette idée
choque-t-elle ? Ne sommes-nous pas des êtres pensants et autonomes ?
« Que les grandes
lois naturelles ne souffrent pas d’exception semble aller à l’encontre de la
liberté, que nous considérons tous comme l’une des valeurs supérieures de
l’homme et comme l’un de ses droits les plus inaliénables », écrit Konrad Lorenz*, qui ajoute plus bas :
« L’idée que l’évolution de notre civilisation ne dépende pas de notre
volonté et encore moins de notre pensée conceptuelle, qu’elle ne soit pas
dirigée par notre entendement et notre raison, est presque aussi difficile à
admettre. »
De même qu’un organisme
individuel, les sociétés elles aussi s’adaptent tout en conservant une certaine
immuabilité, celle comparable à la rigidité fonctionnelle des sous-systèmes
élémentaires. Dans le cas du supra-individuel humain, une civilisation doit
sa réussite ou sa mort à une relative inflexibilité de ses membres. Ce n’est
plus l’inné qui décide, certes, mais une sorte « d’inné culturel »,
terme que dénonceront comme un oxymore les penseurs habitués au « noir ou
blanc ».
Que l’on évoque seulement la
muette réprobation, le simple froncement de sourcils, en présence de
comportements « étrangers » qui choquent l’autochtone ! Rien de
cela n’est argumenté, ou simplement conscient. C’est un réflexe, purement et
simplement. Un réflexe salvateur !
L’intégration de tels
réflexes est infra-rationnelle. Elle procède de l’assimilation et de la
transmission ; transmission de certains rituels, religions, mode de
comportement, façons de penser, et en tout premier lieu du langage, dont
l’apprentissage, bien que particulier pour chaque langue, s’appuie sur des
mécanismes communs intégrés au génome.
Une société, une
civilisation, ne se maintient pas sans une sorte de corpus intégré, qui fait qu’elle est elle-même, pas une
autre, et qui implique qu’elle se « pose en s’opposant »,
serait-ce pacifiquement.
Anomie et violence absurde
Tous les mécanismes intégrés
agissent avec une indépendance relative, même s’ils sont mis en branle par une
« volonté » (celle de faire tel geste et pas un autre).
De même, ceux qui
pérennisent une société doivent être plus ou moins intériorisés pour être
efficients (ce qui se fait, ce qui ne se fait pas).
Cela n’exclue pas,
heureusement, de les critiquer.
L’interrogation des
« règles » a besoin de règles. De même que l’artiste a besoin d’un
cadre pour éventuellement le briser, et créer du nouveau, un jeune (d’esprit,
pas d’âge) ne peut pas se rebeller contre ce qui n’existe pas.
Le Walther des Maîtres
Chanteurs de Nuremberg finit par s’affranchir d’une tradition
sclérosée tout en s’appuyant sur elle (l’apprenant pour mieux la désapprendre),
grâce aux conseils du vieux Hans Sachs.
Sans tradition, sans
enseignement, sans une certaine admiration pour des « maîtres », c’est
l’anomie et la violence absurde.
Pas d’impatience, j’en
arrive à la conclusion.
L’individu, considéré comme
un système complet mais intégré à un super-système, la société, n’est pas
passif. Il reçoit et emmagasine sans cesse des informations du monde extérieur,
de son environnement social. Ces informations sont intégrées à son psychisme,
et lui permettent de progresser vers une meilleure connaissance du réel ;
et donc d’agir en conséquence, car information et action (penser, notamment)
sont indissociables.
L’action informe, et
l’information met en action.
Que se passe-t-il quand l’individu
est rendu passif, et qu’il ne reçoit donc plus d’information exploitable par
son intellect ?
Robots programmés
Dans une société où les
choix et les expériences (parfois négatives) sont limités ; dans une société où
un acte ne fournit pas une information (par la réussite ou la sanction
ressenties « naturellement »), l’individu infantilisé ne peut plus
être ce « régulateur » du devenir de la société.
La régulation s’opère (mal)
de l’extérieur, en amont, et c’est la grande tragédie des sociétés où l’individu
est mis sous tutelle. Leurs dirigeants prétendent à un secourable amour
de l’homme, alors qu’en fait, ils travaillent à le conditionner par récompenses
et sanctions opérant artificiellement. Les capteurs semi-conscients de
l’individu social se taisent. Une sagesse « innée » se perd. Le
sous-homme qu’il est devenu n’a plus cette capacité d’apprendre qui est le
propre du vivant sans exception.
Infra-humain ?
Pire ! Un monde de robots programmés***.
(Remarquons en passant le
mépris pour l’homme, cet incapable, que suppose la mentalité de nos altruistes
meneurs de troupeau)
Cette « régulation
externalisée » ne peut être que maladroite. Un peu comme si moi, « le
chef », je devais me lever sans cesse pour lâcher manuellement de la
pression de ma cocotte-minute, au lieu de faire confiance à un mécanisme
simple, et parfait dans sa simplicité.
Réguler « en
amont », ça ne marche pas, sinon pour les « régulateurs » (que
ça occupe et rémunère).
Mais c’est trop compliqué,
finalement. L’État, quand il veut se charger de tout, finit par ne réussir en
rien. C’est pourtant la voie que suivent les sociétés collectivistes, avec une
persévérance admirable d’où l’intérêt particulier n’est pas absent.
Et la cocotte-minute, un
jour ou l’autre, comme la dette ou l’immigration, explose.
* Arthur
Koestler, Le Cheval et la Locomotive, chez Calmann-Lévy
** Konrad
Lorenz, L’Envers du Miroir, chez Champs/sciences
*** Alexis
de Tocqueville, in La Démocratie en Amérique : « Je vois une foule
innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes
pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs (…). Chacun d’eux, retiré à
l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres (…). Il n’existe qu’en lui-même et
pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins
qu’il n’a plus de patrie. »
NDLR :
Pour ce qui est de la famille, c’est également foutu, Tocqueville lui-même
n’aurait pas osé l’imaginer.
Prochain
billet : Un remède de bonne femme
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