Pauvre Julius !
Il s’agit de Julius Evola, philosophe italien mort en 1974 à
76 ans, défenseur d’une « contestation globale », auteur en 1958
d’une Métaphysique du Sexe à ne pas
mettre entre toutes les mains (de même que les téléphones portables, les
amplificateurs, les voitures puissantes, etc).
Pas de femmes à poil (pauvres bambins !), mais une
approche de l’Eros qui se trouve être à contre-courant du Zeitgeit, de notre air du temps.
Une
loi de la complémentarité
Dans son ouvrage, le vieux romain nous invite à une lecture
de l’amour sexué fondé sur la différence, et non sur cette semblance que
voudraient nous imposer les tenants d’une pensée à base de saindoux informe.
Evola ne croit pas à l’amour sexué défini comme un simple mécanisme d’attirance
entre des êtres interchangeables et relativement indéterminés (les feux de
l’amour chez les gastéropodes !)
Pas plus, il n’accepte un Eros fondé sur une
« interprétation finaliste du phénomène érotique » (la ruse de la
nature, à des fins de reproduction de l’espèce).
Evola voit le phénomène amoureux, au sens le plus profond,
comme résultant d’une « loi de la complémentarité » ; loi qui
suppose, chez la femme et chez l’homme, la recherche du complément féminin chez
le masculin, et réciproquement. « Partant
de l’idée que lorsqu’on prend pour critère l’homme absolu et la femme absolue,
il y a en général de l’homme dans la femme et de la femme dans l’homme (…),
l’attraction maximale s’éveille entre un homme et une femme ainsi faits que si
l’on additionne les parts de masculinité et de féminité présentes chez l’un et
l’autre, on obtient comme total l’homme absolu et la femme absolue. »
Ah ! Qu’en termes galants… Mais attention Mesdames, le
calme précède la tempête !
Il
aime parce qu’il aime
L’attirance sexuelle est donc comparable à une attraction
entre deux pôles (yin et yang dans la tradition
extrême-orientale), semblable à celle obtenue par l’induction électrique entre
des aimants/amants. Ces deux pôles doivent nécessairement avoir des signes
différents.
L’attirance sexuelle n’a rien à voir avec des stéréotypes
fondés sur l’apparence physique, ou des présupposés psychologiques :
« Un homme n’aime point une femme
parce qu’elle est belle, aimante, ou intelligente, gracieuse, suggestive d’une
forte et exceptionnelle volupté. Ce sont des explications satisfaisant à la
logique ordinaire… Il aime parce qu’il aime, et c’est ce mystère qui révèle le
magnétisme de l’amour. » C. Mauclair, La Magie de l’Amour).
Cette attraction spontanée entre les amants, indépendante de
la volonté, n’exclue pas qu’elle soit stimulée de façon semi-consciente, et se
cristallise comme le dit Stendhal (De l’Amour), par « une sorte de fièvre d’imagination, laquelle rend méconnaissable un
objet le plus souvent ordinaire, et en fait un être à part. »
Je laisse à regret de côté les savantes hypothèses d’Evola
sur le mythe de l’androgynie primordiale, sur le rôle de l’odorat dans le
magnétisme érotique… (Ah ! cette horreur actuelle des odeurs corporelles,
« corrigées » à force de déodorants, symptomatique d’une époque
toujours plus asexuée à mesure qu’elle devient plus exhibitionniste !)
Il y aura bien des haussements d’épaule, des moues
dédaigneuses, à l’égard d’une Métaphysique
du Sexe largement inspirée par une anthropologie de type traditionnel et
d’un ésotérisme évidemment considéré comme « dépassé » - comme si
l’homme moderne, cet éclair fugace dans la nuit des temps, avait tout inventé,
et qu’avant l’heure des monothéismes et le règne de l’égalité, il n’y ait rien
d’intéressant à observer.
Plasticité
et mauvaise foi
Mais il faut en arriver au moment où Julius franchit le
Rubicon. Accrochez vos ceintures, ou plutôt votre gilet de sauvetage.
« Femme absolue », c’est plutôt flatteur. Mais qui
est-elle ? Quelle est sa psychologie ?
Evola considère comme évidentes la versatilité,
l’instabilité et l’inconstance du tempérament féminin (et du tempérament masculin,
« chaque fois que l’homme a quelque
chose de féminin en lui. »
(Je dirai bien : comme c’est habile, d’inscrire des
défauts qui peuvent être masculins au débit de notre part féminine. Mais je ne
me sens pas de taille à argumenter avec un philosophe aussi éminent, de
surcroît italien. En plus, il est mort.)
Selon Evola, cette « plasticité » féminine a pour
corollaire que « la mauvaise foi est en elle par nature. Elle a pour
conséquences « une grande crédulité,
l’adaptabilité et la tendance à se laisser suggestionner » (anticipait-il
les Femens ?), ainsi que l’aptitude à assimiler les idées venues de
l’extérieur. Pour Evola, « le
caractère passif de l’assimilation (de ces idées) explique la manifestation d’un conservatisme », et il
questionne l’opposition apparente entre, d’une part, « le caractère changeant de la nature
féminine, et d’autre part le fait que, sociologiquement, la femme exprime (…)
des tendances néophobes ».
(La femme, conservatrice ? Alors qu’aujourd’hui les
femmes en vue adoptent des positions « progressistes » ? Mais ce
progressisme en est-il un, et n’est-il pas plutôt l’adhésion à de vieilles
lunes abusivement présentées comme anticonformistes ?).
Ni
logique, ni éthique
S’agissant de la logique, Evola s’appuie sur O. Weininger. Il
n’y aurait, chez « la femme absolue,
privée d’être, ni mémoire, ni logique, ni éthique ». Il ne s’agit pas
de la « logique courante, que la
femme sait utiliser avec une habileté et une subtilité indéniables, bien
qu’elle en fasse un usage polémique proche de la sophistique. Il s’agit de la
logique en tant qu’expression d’un amour de la vérité pure et de la cohérence
intérieure. »
Quant à l’éthique, Weininger remarque que « rien n’est plus déconcertant pour l’homme
que le fait de constater, lorsqu’il demande à une femme en train de
mentir : « pourquoi mens-tu ? », que celle-ci reste étonnée
(…) ou encore éclate en sanglots. »
(Aujourd’hui, elle se mettrait plutôt en rage. Comme le
temps passe !)
Voilà bien des propos nauséabonds, qui vaudront à Evola d’être
abondamment compissé, sinon compulsé. En vain plaidera-t-il, au sujet de
l’égalité hommes/femmes, que cette question est privée de sens : « On ne peut pas plus se demander si la femme
est supérieure à l’homme que se demander si l’eau est supérieure ou inférieure
au feu ». Le critère de mesure ne peut pas être fourni par le sexe
opposé, « mais seulement par l’idée
du sexe auquel on appartient. »
Ces lignes lui vaudront-elles un nihil obstat de la secte antisexiste ? Que non pas, puisqu’il
ajoute : « Les revendications
de la femme moderne dérivent donc d’ambitions erronées, ainsi que d’un complexe
d’infériorité – de l’idée fausse qu’une femme en tant que telle, en tant
qu’elle est « seulement femme », est inférieure à l’homme. »
Ainsi, pour Evola, les femmes ne sont ni inférieures ni
supérieures ; elles sont in-comparables, et ne se révèlent inférieures
qu’en cultivant « l’idée fausse » de leur comparabilité.
Une
réhabilitation de l’amour ?
Evola, philosophe et érudit, il ne fallait pas s’attendre à
ce qu’il maniât la langue de bois. (l’anacoluthe, c’est mon péché mignon)
Peu goûteux des excommunications ricanantes si prisées dans
les débats-télé, je trouve dans Evola des fruits qui ne tombent que si on se
donne la peine de secouer l’arbre, plutôt que de le déraciner.
Celui-ci en particulier : à travers les idées de
complémentarité d’ordre magique et d’une in-comparabilité entre les sexes,
c’est aussi à une réhabilitation de l’amour sexué qu’il nous convierait ;
un amour sexué dont on assiste, grâce à nos apprentis-sorciers et sorcières, à
la banalisation, jusqu’au dégoût. J’y reviendrai.
Dans sa préface, Evola, parlant du sexe dans le monde
moderne, écrit : « Jamais comme
aujourd’hui le sexe et la femme n’ont été mis au premier plan. Sous mille
formes, la femme est exhibée pour attirer et intoxiquer sexuellement, sans
cesse, l’homme. »
Plus loin : « La
diffusion pandémique de l’intérêt pour le sexe et la femme caractérise toute
époque crépusculaire. » C’est « l’un des nombreux phénomènes qui nous montrent que cette époque
représente la phase la plus poussée, terminale, d’un processus de
régression. »
Evola a écrit aussi, entre autres, Chevaucher le Tigre.
C’est qu’il n’avait rien d’une lavette, ce pauvre Julius.
Métaphysique du Sexe, Julius Evola, Editions l’Age d’Homme,
370 pages.
Prochain billet : Il a (presque)
tout expliqué
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